Peux tu présenter ta relation au football ?
À titre personnel, j’ai plutôt envie de me mettre en retrait pour que ce soit plutôt le contenu du livre qui soit mis en avant. J’ai été bercé dans le football depuis mon enfance. Cela a fait partie de ma culture. J’ai joué au bas de mon immeuble et les tribunes populaires je connais depuis la fin des années 90. C’est comme ça que j’ai appris à aimer le football pro et l’attachement à une ville et un club.
À quel moment est né ton site Dialectik Football et ta volonté d’écrire sur le football ?Ma motivation a connu quelques allers et retours du fait des dérives de ce sport et j’ai décidé de revenir fin 2018 avec une approche nouvelle. J’ai voulu avec le site donner un regard plus politisé et social en partant de l’histoire. Le livre "L’Atlas du football populaire" a été la volonté de montrer qu’il y avait une autre manière de vivre le football à travers des projets alternatifs.
Dans ton livre tu nous fait beaucoup voyager à travers le temps et l’espace. Quelle a été ta plus belle découverte ?
Je suis assez fan de la façon dont les Anglais se réapproprient leur club même si il s’agit de petits clubs comme le Football Club United of Manchester ou celui de Clapton pour lequel j’ai beaucoup d’affection. Cela redonne le sens des liens qui unissent les supporters à leur club. C’est-à-dire l’inverse de ce que nous propose le foot business. Un rapport uniquement clientéliste. Le projet de reconstruire un club de A jusqu’à Z est un modèle que j’aimerais voir émerger en France.
En France, pourquoi sommes nous tellement en retard au regard de ce que l’on observe dans les autres pays ?
L’hypothèse que j’ai repose sur une division très ancrée des rôles. Les dirigeants dirigent, les joueurs jouent… et les supporters supportent. Chacun doit rester dans son couloir. Les dirigeants sont ceux qui savent et nous sommes censés leur faire confiance. En prenant l’exemple de Bordeaux on voit bien que face à la difficulté les supporters ne sortent pas de leur registre. Il s’agit de faire pression sur un dirigeant et pas sur un changement de modèle. Je le dis sur le compte du constat et pas sur celui de la critique. Pourquoi en France aucun projet alternatif n’a-t-il jamais vu le jour à Bordeaux, Nantes, Saint Étienne ou Paris ? A croire que pour les supporters la gouvernance d’un club n’est pas perçu comme un enjeu légitime.
Comment vois-tu l’évolution du football à l’échéance de quatre ou cinq ans ?
Je ne suis pas capable de me projeter de cette manière car je prends le risque de dire n’importe quoi. Ce que l’on peut dire c’est que le football business relève d’une économie élitiste et que dans une période de crise, les petits clubs paient les pots cassés. Face au conséquences de la crise sanitaire et de la réduction des droits TV, les clubs mal gérés ne pourront survivre. Le football est dans la fuite en avant et pas dans la remise en question. S’il n’y a pas de contre-pouvoir, les dirigeants n’ont aucune raison de repenser leur modèle. Les élus politiques ont une prise de conscience mais a priori les transformations vont se faire à la marge. S’ils veulent obtenir du pouvoir les supporters auront besoin d’aller l’arracher. Cela ne pourra passer que par des mobilisations.
Peut-on escompter voir en France apparaître une alternative possible avec l’actionnariat populaire et le développement de la SCIC comme à Bastia ?
Le juridique à travers la SCIC ne permet pas une réelle redistribution des cartes. Je trouve que c’est un modèle qui porte en soi des limites démocratiques avec l’existence des trois collèges. Chaque actionnaire n’a pas le même pouvoir comme cela peut se faire dans le modèle espagnol avec l’actionnariat populaire. Avec la SCIC, le pouvoir est dilué mais les supporters semblent contents. Il faudrait que le club soit une vraie propriété collective mais il y a une réalité économique comme nous l’avons vu à Sochaux où la formidable mobilisation des 11 000 socios n’a été en mesure que de mobiliser l’équivalent d’un budget de Nationale 2. Tant que nous serons dans ce système il semble difficile d’envisager un autre football. Aujourd’hui c’est l’économie de marché qui fixe les règles.
- "Atlas du football populaire" de Yann Dey-Helle (2024 éditions Terres de Feu). 272 pages. 130x180mm. ISBN : 9782958731526. Préface de Jérôme Latta. Disponible dans toutes les bonnes librairies.