Stéphane Moreau a eu le privilège de vivre trois vies au sein du FC Nantes et il sera bientôt à célébrer sa vingtième saison au club. Il y a vécu sa formation, une carrière de joueur professionnel avec le titre de 1995 puis à partir de 2003 un premier retour à Nantes, sa ville natale, pour intégrer comme éducateur le centre de formation. Il est revenu à l’été 2023 pour vivre avec le club cette formidable épopée de la Youth League.

Tu peux nous rappeler en quelques mots tes débuts au FC Nantes ?

J’ai commencé au Orvault Sporting Club qui est devenu aujourd’hui Orvault Racing Club dans un stade celui du Verger qui aujourd’hui n’existe plus. Je suis arrivé en 1984 au FC Nantes tout en faisant sport et étude au lycée la Colinière avec une seconde année a Angers. J’intègre ensuite le centre de formation lorsque je suis en seconde année cadets. Et c’est là que l’histoire commence. J’ai pleinement conscience de la chance qui a été la mienne d’intégrer une formation où l’objectif n’était pas seulement de former des footballeurs.

Dans tes souvenirs de la formation qu’est-ce qui est aujourd’hui le plus vivace ?

Les souvenirs sont nombreux et les titres restent en mémoire mais ce n’est pas le plus important. Ce qui est essentiel c’est ce que j’ai appris durant cette formation. C’est indélébile. Ce que l’on a vécu dans ce club dans le domaine de la transmission va au-delà du football. Le projet de devenir éducateur va naître chez moi très vite car il y avait autour de nous un environnement très favorable. Il y avait Raynald et Coco mais un ensemble de personnes très inspirantes. C’est pourquoi à l’issue de ma carrière de joueur j’ai fait en 2003 le choix de revenir comme éducateur au FC Nantes.

Puis après 5 saisons au club tu deviens responsable du Centre de Formation du Stade Lavallois où tu avais fini ta carrière pro ?

Cela a été une expérience passionnante à vivre que de revenir dans ce club qui a aussi un passé et une histoire. Je suis resté 10 ans au Stade Lavallois avec au démarrage une page blanche. Ce club retrouvait son statut professionnel et il y avait tout à faire. Pas de grands moyens mais un environnement stimulant avec un président très proche de la formation et des éducateurs qui travaillent main dans la main. Nous avons été en mesure de sortir quelques bons petits joueurs comme par exemple Serhou Guirassy qui joue à Dortmund et Oumar Solet (Udinese). J’ai quitté le club au moment où celui-ci perdait de nouveau son statut professionnel et qu’il n’avait plus le budget nécessaire pour faire fonctionner la formation.

Et ensuite tu vas au Paris SG pour prendre en charge les U17 et je suppose que tu passes d’un monde à l’autre…

C’était en effet une autre dimension mais j’y suis allé avec les mêmes idées, les mêmes valeurs. J’étais prévenu sur le fait que dans la relation avec les stagiaires ce serait sans doute plus difficile pour moi mais en fait je les ai trouvés très à l’écoute. Il y avait un gros travail réalisé au niveau de la préformation. Je n’ai rencontré aucune difficulté pendant les quatre années où je suis resté au club

Est-ce que la politique de formation et les axes de travail que tu avais au PSG était spécifique à ce club ?

Les identités des clubs font que la manière de travailler varie d’un club à l’autre mais les fondamentaux sont les mêmes. A Paris c’est la prise de possession avec des garçons qui sont très à l’aise dans la maîtrise technique et la volonté d’avoir le ballon et de le conserver. Après, à contrario il y a nécessairement des aspects à perfectionner concernant la complicité entre eux et la recherche de jeu combiné. C’était très intéressant d’apporter cette dimension. Je n’ai pas changé ma conception du football en allant au Paris SG mais il est évident qu’il faut s’adapter aux profils qui sont mis à disposition. C’est agréable pour un éducateur de voir aujourd’hui jouer la génération de Warren Zaïre Emery car elle arrive à maturité.

Et puis à l’été 20023 tu fais le choix de revenir à Nantes. Est-ce que tu peux nous dire dans quelle condition s’opère ce nouveau retour au club ?

Samuel Fénillat était à la recherche d’un formateur et comme à Paris j’étais confronté à une faible visibilité sur ce que je pouvais faire à moyen terme j’ai décidé et avec beaucoup de plaisir de revenir à la maison.

Quand tu fais la comparaison entre celui que tu étais au même âge et les jeunes que tu encadres au quotidien, est-ce que tu vois des différences ?

Il faut évoquer l’évolution de la société car il y a eu beaucoup de changements. Ce que je constate c’est qu’ils sont plus matures que nous ne l’étions. Ils ont de l’ambition et ils veulent aller vite. À partir de 16 ans certains sont déjà prêts à passer pro en sachant que ce projet n’a rien d’évident car c’est sans doute plus difficile qu’à notre époque. Au-delà d’être très bons dans le domaine du football, ils doivent assumer sur le plan mental. Il faut un socle solide. Cette aptitude est la résultante de plusieurs éléments : l’éducation du jeune, son cadre de vie, son environnement et puis évidemment sa personnalité. Il n’y a pas un modèle type de réussite. C’est à nous d’être en mesure de le faire progresser en prenant en compte ses caractéristiques.

Dans un monde qui valorise l’individualisme est-ce qu’il est encore possible d’avoir l’ambition de faire jouer les jeunes de manière collective à l’image de ce que tu as connu lorsqu’il tu étais en formation ?

Le jeu collectif ce n’est pas une utopie mais une évidence. PSG à cette ambition au même titre que Barcelone. On voit bien d’ailleurs la mutation du jeu parisien avec des joueurs qui font ensemble et d’une manière coordonnée les efforts tant sur le plan offensif que défensif. L’exigence du haut niveau c’est aussi aujourd’hui une dimension athlétique avec la capacité à reproduire les actions à haut niveau d’intensité. On voit bien qu’il faut recruter les joueurs prêts à s’inscrire dans cette logique collective mais aussi disposer de temps pour y parvenir.

Nous avons l’impression que dans les clubs français la passerelle qui permet aux jeunes de pouvoir jouer en professionnel est moins évidente à franchir que ce n’était le cas il y a seulement quelques années. Est-ce que tu fais le même constat ?

Je ne peux pas m’empêcher de penser que pour la génération 94 c’est bien parce que le club n’avait pas les moyens financiers de recruter qu’il y a eu autant de jeunes en capacité de jouer en équipe première. Beaucoup d’entre nous étaient programmés à l’époque pour faire l’objet d’un prêt dans un autre club. Auxerre et Lyon sont parvenus à faire jouer leurs jeunes en pro pendant plusieurs décennies mais même pour eux c’est devenu plus difficile de le faire aujourd’hui. Ce qui est compliqué à Nantes c’est que nous sommes toujours dans cette pression continuelle liée au classement. On a bien vu la ferveur populaire que suscite l’intégration des jeunes mais dans cette course au maintien il n’est pas aisé de trouver le bon équilibre. Nous avons avec l’équipe de la Youth League une génération intéressante mais je peux dire que la suivante va l’être tout autant.

On va maintenant évoquer l’équipe qui va jouer dimanche prochain à Dijon la demi-finale de la Coupe Gambardella. Quels sont ses principaux atouts ?

Je pense que ce groupe a un vrai collectif. Ils sont très proches les uns des autres tout en étant complémentaires. Ce n’est d’ailleurs pas facile pour moi de faire des choix car sur le plan de la performance il y a très peu d’écarts entre eux. Il y a une vraie dynamique de travail et je ne sais pas si dans ma carrière d’éducateur j’ai déjà eu un groupe qui avait autant progressé en une saison. Je constate à travers ces jeunes que l’individualisme est moins prégnant que ce que j’ai connu il y a quatre ou cinq ans. C’est très plaisant de les coacher. Je constate aussi qu’ils ont compris l’idée que la sélection est très forte dans ce métier mais qu’ils doivent avant tout vivre leur passion pour le football. C’est la passion qui fait progresser. Obtenir un contrat pro cela ne doit pas être un objectif mais seulement la conséquence. La formation n’est jamais une perte de temps car elle n’apprend pas seulement à jouer au football. C’est une formidable école de la vie.

Et concernant ce prochain match, est-ce que tu es optimiste sur les chances de ton équipe de décrocher une nouvelle chance de gagner la Gambardella, une performance qui n’est plus arrivé à notre club depuis 2002 ?

Evidemment je suis optimiste. Maintenant il faut bien préparer ce match et ne pas déjouer. Il faut s’inscrire dans une dynamique qui te pousse dans tes objectifs et ne pas avoir à l’esprit l’épopée de l’année dernière ou le fait d’être largement premier au classement. Ce n’est pas toujours facile à cet âge. Il faut avoir cette capacité à se remettre en question et à vivre l’instant. Le match c’est celui de dimanche, pas celui d’avant ou d’après.