Qui est le joueur le plus impressionnant de votre génération ? Parmi ceux que vous avez croisés à Nantes ?

J’ai du mal à répondre à cette question car je suis comme Denoueix à ce niveau-là : on ne peut pas comparer des joueurs qui jouent à des postes différents. Après si on me dit le défenseur, le gardien, le milieu, l’attaquant… Bon allez je commence par l’attaquant : Ronaldo le Brésilien et évidemment Samuel Eto’o. Au milieu (il réfléchit) avec qui j’ai joué… Je dirais Marc-Vivien Foé, pour sa puissance, son box-to-box et pour sa présence. A Nantes, Landreau a tellement fait des miracles pour nous que je ne le compte même plus (rires). Il y a Nestor Fabbri aussi. Je vous raconte une anecdote : nous étions jeunes quand Fabbri est arrivé au club. La première semaine il jouait avec des vissés, il taclait, il était dur. Nous nous sommes dit que le club avait récupéré un gros bourrin, un tueur à gage ! Deux-trois semaines plus tard il est arrivé à l’entraînement avec des moulés, des crampons d’attaquant, et là il s’est mis à jouer, à demander le ballon. On pensait que c’était un bourrin mais en fait il n’était pas que ça ! La première semaine il avait voulu marquer son territoire et après il nous a montré qu’il savait jouer, c’était fort, un vrai gagneur. Ensuite, on a découvert son histoire : il avait été vice-champion du monde 1990 avec l’Argentine de Diego Maradona quand même ! Et puis quand j’étais au centre, il y avait le trio magique chez les pros : Japhet, Claude, Pedros. Reynald Pedros était vraiment un artiste. C’est comme s’il ne touchait pas le sol quand il jouait. Lui il aurait pu jouer à Barcelone, dans un collectif de ce niveau-là pour aller encore plus haut.

Vous avez gardé des liens avec des Nantais de votre génération ?

Évidement. Déjà avec mes frères camerounais : Djemba, Ateba, Suffo, Ottou… mais aussi avec Lorenti, Nicolas Gillet, Sébastien Pauvert etc. En 2020, sous l’impulsion de Landreau et de Réginald Becque (Calais), les deux capitaines de l’époque, un match de gala avait été programmé pour commémorer les vingt ans de la finale de Coupe de France entre Nantes et Calais. On s’était beaucoup mobilisés mais malheureusement les restrictions liées au covid 19 ont annulé l’évènement. Ce n’est que partie remise j’espère.

"Enfin quelqu’un de notre génération capable d’entraîner à ce niveau"

Avec mes autres coéquipiers, mes amis et camarades, nous avons des relations plus occasionnelles. Toutefois quand on se voit c’est comme si on ne s’était jamais quittés, nos causeries peuvent durer très longtemps (rires). J’aime me retrouver à la Beaujoire, avec Savinaud, Deroff, Da Rocha, Ziani, Aristouy, Piocelle, Berson (le Bison), Delhommeau… Je me souviens encore de notre groupe de Uno, on jouait pendant les mises au vert et les déplacements, personne ne voulait perdre (rires). En fait, votre question me fend un peu le cœur. J’ai envie de me rapprocher du club, de la ville, de mes frères d’armes, pour partager sur nos différentes aventures et grandir encore avec tout ça. Ceux qui sont restés autour de Nantes sont restés en contact. Quand je vois Yves Deroff et Olivier Quint travailler ensemble ou Monterrubio et Vahirua ensemble à Grenoble, ça me fait vraiment plaisir.

Vous avez cité Pierre Aristouy, qui a entrainé Nantes récemment, un entraineur adoré par les supporters. Quel est votre regard sur son passage ?

J’étais très heureux pour lui, vraiment, je sautais devant ma télé ! A Nantes c’était notre Dennis Bergkamp. Il avait la finesse, le toucher de balle, un artiste. Et puis il a réussi à sauver le club de la relégation, bravo à lui. Le fait de le voir arriver sur le banc, comme coach, c’était beau. J’avais peur quand même au début : Est-ce que les joueurs allaient le suivre ? Et j’ai vu que tout était positif, j’ai reconnu des principes, j’étais aux anges. Quand il a commencé à bien enchaîner avec l’équipe, c’était comme un conte de fées. Quand ça s’est moins bien passé et qu’il s’est fait limoger, je n’ai pas trouvé ça grave. Je savourais la réussite. Je me disais : "Enfin quelqu’un de notre génération capable d’entraîner à ce niveau !" . Il lui fallait un autre challenge, vite, pour qu’il puisse montrer ce qu’il sait faire, peu importe le niveau L1 ou L2. Ce n’est pas arrivé et ça m’a un peu frustré. J’aurais voulu qu’il rebondisse, j’attendais la suite, Mais tout est resté comme crispé dans les reproches faits au président Kita. L’attitude des supporters avec Pierre était fabuleuse, ils l’ont soutenu à fond dès le départ. Charge à nos supporters de maintenir cette pression positive sur le président et sur l’administration du club pour sauvegarder l’identité du club et préparer l’avenir.

Chez Aristouy, peut-être du fait qu’il était de votre génération, on avait l’impression de revoir un peu de Denoueix en lui. Ce qui a sûrement beaucoup frustré les supporters nantais c’est le fait que ça s’arrête aussi vite sans vraiment que ce soit justifié.

Aristouy est un pur produit nantais. Avant de prendre l’équipe première, il était déjà bien installé dans la formation avec U19. Il est clair pour moi qu’avec ce parcours, et entouré au centre de Ziani et Fenillat, il était là pour, comme il le disait, perpétuer l’identité du foot nantais, mais à sa façon. Nous avons apprécié, le jeu, les séquences, l’animation proposée, en lien avec la tradition nantaise. Nous savions qu’il fallait beaucoup de temps et de patience, pour obtenir des résultats sur le long terme. En football, quand une équipe enchaine des mauvais résultats, le système privilégie le court terme et anticipe sur les objectifs d’urgence : ici le maintien en première division. Le président a manœuvré pour le bien du club et l’histoire lui a donné raison. Pas d’état d’âme à ce niveau malheureusement. Pour moi c’est comme Landreau à Lorient, les gens pensent que ça s’est mal passé mais moi je me régalais. C’est juste qu’après, personne ne lui a fait confiance, aucun club. Landreau avec Lorient c’est pareil, ça a coincé au niveau des résultats, mais le contenu, l’animation, le projet de jeu étaient là. C’est le foot, c’est normal, pas de résultat, pas de continuité.

"On devrait toujours avoir des anciens du club dans le staff pro"

Le vrai regret avec Pierre c’est la suite. Il est resté dans une situation hybride et n’a plus entrainé, c’est dommage. J’aurais aimé qu’on l’associe à un autre coach. Je ne sais pas si Pierre aurait été capable d’accepter ça en tant qu’homme mais j’aurais trouvé ça bien car on manque de continuité à Nantes. Pour moi il n’est pas trop tard et ce serait très bénéfique pour tous. On devrait toujours avoir des anciens dans le staff pro, pour valoriser l’esprit du club. Regardez tous ses tops entraîneurs passés par le club (Conceiçao, Ranieri, Halihodziç, Gourcuff, Gouvernnec, Baup, Gernot…). Leur savoir-faire, leur méthode, leur modernité... Le club aurait pu en profiter pour devenir un véritable incubateur de coachs permettant de perfectionner la formation d’entraîneur d’anciens nantais pour la suite.

Quel est votre regard portez-vous sur le FC Nantes aujourd’hui ? Avez-vous gardé des liens avec le club ?

Primo je suis déjà très content que le club évolue toujours en L1. J’éprouve toujours beaucoup de fierté d’être un canari. En revanche je suis fatigué de la longue lutte idéologique qui a secoué le club et nous a bouffé beaucoup d’énergie, entre les anciens, les supporters, le collectifs nantais et le président Kita. Comme on dit en anglais "The show most go on", il faut avancer. Félicitations au coach Kombouaré d’être revenu, c’est la preuve qu’il aime vraiment le club, il nous a fait un bien fou. Pour moi, comme tous les anciens joueurs qui ont marqué l’histoire du club : nous sommes estampillés Nantais. Où que j’aille, je me sens ambassadeur du club, de la ville et des supporters. Je continue de vibrer pour le club. Puis il y a encore mes deux petits frères camerounais, Castelletto et Ganago, avec qui nous échangeons constamment. Vous savez, mes enfants disent que Nantes c’est mon village, ça veut tout dire (rires).

"Je pense que le président Kita a sauvé le club"

Comment voyez-vous le futur du club ?

J’ai une opinion un peu différente des supporters… Je pense que le président Kita a sauvé le club, je le remercie d’avoir mis les moyens. Toutefois, il y a un écart entre son management et la façon dont les supporters se projettent. Depuis son arrivée, il n’y a jamais eu d’union sacrée. Les supporters voient le club comme leur bébé mais le club est passé sous pavillon privé. Le président Kita est le propriétaire du club et je pense qu’à Nantes on ne s’est pas encore fait à cette idée. Quand j’étais à Marseille j’ai vu comment c’était : Dreyfus le propriétaire, Tapie le président. A Leeds quand j’y étais, le club a été racheté, le mec qui est arrivé a tout changé et il fallait l’accepter. Cette culture n’existe pas à Nantes, nous sommes des bretons, têtus. Séduisez-nous, séduisez-nous Monsieur Kita… Maintenant que la tempête est passée, c’est l’heure de travailler tous ensemble.  Il est clair désormais que le bras de fer n’apportera rien et n’a rien apporté. Ça me fait parfois penser à l’actualité des Lions indomptables au Cameroun. No comment !

Mais vous pensez vraiment que Kita pourrait faire grandir le club ?

Le président Kita voulait passer le club au top niveau européen en matière d’infrastructures : reconstruire le centre de formation, construire un nouveau stade… Regardez ce qu’il se passe ailleurs : Lyon a construit un nouveau stade, Lille aussi, des clubs anglais comme Arsenal ont construit de nouveaux stades. En Espagne les clubs se modernisent à tour de bras. C’est ce qu’il faut faire aujourd’hui pour pérenniser les clubs et les faire passer au niveau de top club selon les standards UEFA. A Nantes, la proximité avec le club, le poids de l’histoire, la peur de perdre son identité, les mauvais résultats du passé, tout ça entretient un peu l’immobilisme et la peur de l’inconnu. Le club a toujours marché à son rythme et sur des standards connus de tous. Je regarde chez le voisin rennais qui a fait sa mutation : moderniser les installations, changer son business modèle. Le FCN peut-il protéger son identité comme on en rêve ? Le consensus sur un modèle de changement est-il possible ? Et avec qui ? Aujourd’hui le peuple nantais a besoin de se sentir écouté et impliqué. Au plus haut de la crise avec Kita, il y a eu le projet du Collectif nantais, incarné par Landreau. Pourtant le président Kita n’est toujours pas vendeur. Pour moi le travail à faire avec le clan Kita, c’est de se rapprocher pour construire les bases d’un projet commun. Les Nantais oublient le caractère de leur président. Bernard Tapie était un président à la Kita : ça passe ou ça casse. Sauf que Tapie a eu du succès sportif à un moment de son règne. Mais si on regarde les politiques menées, c’est assez proche. Kita n’a pas les armes pour construire d’en bas, il veut construire d’en haut. Mais personne ne veut accepter cela et lui dire : "Si tu veux construire d’en haut, vas-y, mais tu vas nous prendre des tops joueurs et ensuite on jugera".

Vous pensez qu’on ne peut plus construire d’en bas ? Par la formation avec des équipes comme la vôtre ?

Parfois il faut se rappeler ce qu’est Nantes, et de quelle formule on parle. Si nous parlons du détenteur de huit titres de champions de France, acquis exclusivement par la force d’une philosophie de jeu, s’appuyant sur sa formation et ses propres recettes, alors c’est une marque déposée et vous la connaissez. Mais actuellement, le club est dans une posture dans laquelle nous n’avons que deux choix : rêver, ou être pragmatique ! Pour l’instant voilà les possibilités. Quant au travail effectué par le centre de formation, nous devons pousser le club à leur donner les moyens, à eux de mettre en place les recettes dans le temps et sortir des joueurs capables d’appliquer les principes nantais. Je rappelle quand même que le Barcelone actuel, celui de 2024, est construit d’en bas. Tout est une question de dosage.

Pour finir, parlons un peu du Cameroun et de son actualité : vous êtes de la génération dorée, de la génération Eto’o. Quel souvenir gardez-vous de lui et que pensez-vous de son rôle actuel à tête de la Fecafoot (fédération camerounaise de football) ?

Chez nous on dit la Génération 2000. Avec Samuel, on était pensionnaires ensemble à l’école de foot des Brasseries du Cameroun. Son feu père venait tout le temps nous rendre visite et nous considérait comme ses propres enfants. A l’époque, on avait une expression entre nous, c’était : "Il faut aller sur le toit du monde". Lui il est allé sur le toit du monde. Donc beaucoup de respect pour sa carrière. C’est un grand professionnel. Il a réussi et a fait le bonheur de sa famille, du Cameroun et du monde entier. Moi je l’ai vu changer, prendre une posture de leader, leader dans le jeu, puis il est devenu capitaine de la sélection nationale.

"Tous les Camerounais font corps avec les Lions"

Aujourd’hui chaque chose qu’il fait est scrutée. Quand on est à ce niveau-là, c’est le quotidien, Beaucoup de gens l’ont sous-estimé. Eto’o il est dans le challenge permanent, il passe toujours d’un challenge à l’autre, il a une vision et une idée de comment certaines institutions du football doivent changer au Cameroun et même dans le monde. Alors il avance et veut apporter sa pierre. Nous avons toujours voulu quelqu’un issu du football moderne à la tête de la fédération, et lui l’a fait. Il mène des combats et des réformes pour les footballeurs, mais aussi pour les métiers autour du football au Cameroun. Il a tapé dans la fourmilière, quand ça marche on est le héros, mais dans le cas contraire, on peut vite être jeté en pâture. Il n’est pas parfait mais ce n’est pas le moment de faire le bilan. La gestion de la Fédération est complexe. Moi je ne tire pas de bilan hâtif, laissons-le travailler.

Quel regard portez-vous sur son conflit avec le ministère des sports camerounais ?

Chacun doit se faire respecter dans son domaine de compétence, c’est une bataille logique au Cameroun, mais cette bataille doit accoucher de quelque chose : pas d’une souris, mais du concret. Nous avons besoin de transparence, d’éthique, de professionnalisme, de respect des règlements et nous devons lutter contre le fléau de la corruption. Il faut que la bataille se déroule. Il y a des points positifs et négatifs des deux côtés. Le ministère et la Fecafoot ont pourtant un objectif final commun : que le football au Cameroun se porte mieux, que tout le monde puisse vivre de son métier autour du football et que la fédération s’occupe de ses membres et adhérents. Au Cameroun, le football est une religion, au centre de tout. Il a incidence politique, sociale… Quand le Cameroun joue, tous les Camerounais font corps avec les Lions. La ferveur autour du foot est similaire à ce qu’on voit au Brésil ou en Argentine. Mais nous n’arrivons pas encore à convertir cette passion en moteur de développement pour le football.