Depuis qu’il a quitté son poste à la DTN il y a 7 ans pour prendre sa retraite, François Blaquart a gardé un contact avec le football en faisant des diagnostics de politique sportive dans plusieurs pays africains. Il a décidé de reprendre du service en intégrant le bureau de l’Union nationale des entraîneurs et cadres techniques du football français (800 adhérents) présidée par Bertrand Reuzeau pour prendre en charge la défense de la profession d’entraîneur et d’éducateur. Il est aussi à la demande de Jean-Michel Aulas devenu membre du comité directeur de la ligue féminine.

Qu’est ce qui explique ton récent souhait de prendre des responsabilités à l’UNECATEF ?

Il est important de donner une dimension plus importante à ce syndicat car nous sommes dans un contexte difficile. Les entraîneurs ont besoin d’être accompagnés sur le plan juridique, dans leur recherche d’emploi notamment au niveau international, et puis il y aussi la formation continue. Antoine Kombouaré n’a pas besoin de nous pour défendre ses intérêts mais nous avons besoin de lui pour défendre ce métier. Dans le football amateur, il y a beaucoup de double emploi et des contrats à temps partiel notamment en National 2 ou 3. Il faut pouvoir les aider sur la durée des contrats, les préavis de départ, les primes. Un entraîneur n’a pas encore commencé à travailler qu’il est déjà en danger. J’ai comme exemple un entraîneur qui a été appelé à minuit pour apprendre qu’il était viré et que ce n'était pas la peine qu’il revienne le lendemain. C’est irrespectueux. Nous voulons que la même législation concerne les joueurs et les entraîneurs.

"Aujourd’hui, l'entraîneur est un manager et un communicant"

Dans la situation présente, quelle est ton analyse concernant la concurrence des jeunes entraîneurs étrangers et la difficulté que rencontrent certains de nos entraîneurs chevronnés à trouver un poste ?

Cela fait longtemps que l’on parle de ce sujet. c’est l’internationalisation des décideurs qui est la première cause de cette situation. La plupart des clubs français sont la propriété de capitaux étrangers. Aujourd’hui un entraîneur, c’est un manager et un communicant. Ce n’est plus un entraîneur de terrain. J’ai discuté l’autre jour avec Marc Keller le président de Strasbourg qui me disait que dans un vestiaire, même en France, la première langue c’est l’anglais. Il y aussi le fait que les entraîneurs français ne sont pas faciles à gérer et qu’ils ne s’adaptent pas toujours au système qu’on leur impose. A savoir entraîner l’équipe et ne pas s’occuper du reste. Les dirigeants ne veulent plus d’un entraîneur qui a notamment des velléités concernant le recrutement ou la politique sportive. L’entraîneur omnipotent c’est fini.

Actuellement, quel est le mode de fonctionnement en cours au sein des clubs professionnels ?

Aujourd’hui, le directeur sportif anime la politique sportive et il a auprès de lui une cellule de recrutement qui suit les joueurs dans le monde entier. C’est à lui d’organiser la gestion prévisionnelle des effectifs et de mettre en place la méthodologie de travail. Il y a des clubs où il y a les titulaires, les doublures et les doublures des doublures. C'est-à-dire un effectif qui ne laisse aucune place aux jeunes du centre de formation.. C’est terrible parce que les jeunes n’ont pas l’opportunité de jouer et que les formateurs ne peuvent pas valoriser leur travail. C’était la force de Lyon d’être capable de sortir des jeunes locaux. Ce n’est plus le cas car ils ont perdu leur identité. Les clubs formateurs deviennent d’ailleurs une denrée rare. Aujourd’hui, à part Bruno Génésio et Franck Haise, il y a peu de coachs en Ligue 1 qui font vraiment confiance aux jeunes. Je pense que le véritable directeur technique devrait être le directeur de la formation car il travaille sur le moyen terme. Les pros cela reste une niche à part. Aujourd’hui, le pouvoir appartient à des personnes qui comme Campos disposent d’un réseau mais qui n’ont pas de responsabilités effectives au sein du club. Au niveau des structures, c’est un peu difficile de s’y retrouver.

"Les entraîneurs ne sont pas respectés"

Je suis revenu au syndicat parce qu’aujourd’hui les entraîneurs et les éducateurs ne sont pas suffisamment respectés. Auparavant ; on signait pour quatre ans aujourd’hui les contrats portent sur une saison. Pour être une grande nation de football, il faut des grands joueurs. Didier Deschamps gagne la Coupe du Monde mais avec aussi une génération qui gagne préalablement toutes les compétitions dans les sélections de jeunes. Ils sont champions du monde des moins de 20 ans mais aussi champions d’Europe des 17 ans. En tant que DTN, je dois admettre que j’ai un palmarès exceptionnel. Mais pour former de bons joueurs il faut de bons entraîneurs et pour y parvenir de bons formateurs. C’est pour cette raison qu’à la DTN je recrutais plutôt des formateurs de qualité que des sélectionneurs. La formation c’est un travail à long terme. Aujourd’hui si tu n’investis pas dans la formation à tous les niveaux tu disparais très vite du paysage. Les portugais et les espagnols travaillent bien. Il y a des pays qui ont oublié de le faire comme les italiens. Ils ont coulé. Les Anglais reviennent très fort alors que l’Allemagne n’est plus au rendez vous des grandes compétitions chez les jeunes.

Dans le domaine de la formation, est-ce qu’il y a un modèle ? Est-ce qu’il est important qu’un club pratique un style de jeu spécifique comme c’était le cas à Nantes par exemple ?

Compte tenu de la durée de vie d’un entraîneur dans son poste je ne pense pas qu’il soit souhaitable de spécialiser les jeunes dans un style de jeu. Bien au contraire. La qualité de la formation doit favoriser la capacité d’adaptation. Cela explique d’ailleurs pourquoi nos jeunes joueurs réussissent si bien à l’étranger notamment en Angleterre. Ils sont capables de s’adapter à tous les systèmes. C’est de la responsabilité du directeur de formation de déterminer la ligne de conduite qui s’applique au sein du club : de l’école de foot jusqu’à l’âge de 20 ans. Son rôle consiste à mettre en place une politique qui soit cohérente, pérenne et encadrée par des éducateurs performants. Il faut avoir une politique sportive et s’y tenir. Le fait qu’il y a moins d’argent dans les clubs va peut être entraîner une évolution dans les pratiques. Il faudrait s’inspirer de ce qui se fait dans le rugby mais aussi dans le football féminin où dans l’effectif d’un club pro douze joueuses doivent être formées au club.

Le rôle d’entraîneur de haut niveau est en pleine mutation. Quelles sont les compétences stratégiques dans leur métier ?

Les compétences techniques et méthodologiques sont des pré-requis indispensables car l'entraîneur doit être capable de maîtriser toutes les composantes du football. A partir de là, les compétences essentielles sont pour moi le management et la communication. Avant le circuit de décision était court puisqu’il y avait un triangle entre le président, l’entraîneur pro et le responsable de la formation. Maintenant au-delà de sa propre équipe, le coach doit manager un staff. La manière de manager évolue du fait des transformations sociétales. Et puis il y a aussi du parasitage à cause du rôle des agents. Auparavant, tu avais une relation directe avec le joueur, maintenant ce n’est plus le cas.

"La communication est devenue compliquée"

Les effectifs sont devenus très conséquents. Christophe Galtier à Saint-Etienne avait trente-deux joueurs à gérer alors que l’on sait que 95% des matchs se jouent avec seulement 16 joueurs. Comment gérer la moitié de l’effectif qui ne va pas jouer de la saison ? A ce propos, je me souviens que la presse s’étonnait de voir au Barça Pep Guardiola se satisfaire d’un effectif limité alors qu’il y avait plus de soixante matchs à jouer dans la saison. Il avait dit "Moi je préfère jouer avec dix-neuf joueurs qui jouent tout le temps et si nécessaire de m’appuyer sur le centre de formation". Il pouvait le faire parce qu’il disposait aussi de joueurs de talent qui étaient très polyvalents. Un coach doit être capable de prendre du recul donc savoir déléguer. Il ne fait plus l’entraînement. Il dispose d’une cellule de la performance qui a son propre directeur. Il y a aussi la préparation mentale. Parfois, l’entraîneur a son propre préparateur mental, c'est le cas de Pep par exemple. Il faut aussi savoir gérer la relation avec les dirigeants. Ce n’est plus le père Fonteneau ou Carlo Molinari qui dirigent le club. Aujourd’hui, pour échanger avec la direction il faut passer par des intermédiaires qui sont le président délégué ou le directeur sportif. La communication est devenue un exercice beaucoup plus compliqué.