A force de brasser un argent considérable, le football a attiré en son sein des vautours de la finance, pour qui un club de football est avant tout une source de profit ou au mieux un outil de communication. Daniel Ollivier, l’auteur du livre “Football entre passion et business, le cocktail explosif !” publié par Bréal/Studyrama, vient à point nommé nous rappeler que le football est avant tout une culture populaire et que le monde des finances scie la branche sur laquelle il s’est assis.

Bonjour Daniel. Contrairement à ce que laisse suggérer son titre, ton ouvrage n’est pas spécifiquement consacré au business du football, mais surtout à l’identité. En quoi considères-tu que c’est un sujet important ?

En fait, ces deux sujets sont intimement liés. Il y a toujours eu de l’argent dans le football mais au départ l’objectif était d’améliorer la performance sportive. A partir des années 80, nous sommes entrés dans l’ère du football business avec notamment l’arrivée de Silvio Berlusconi et de Bernard Tapie. L’identité des clubs a été profondément remise en cause par des investissements massifs, et des clubs comme le FC Nantes n’ont pas été en mesure de s’adapter à la nouvelle donne. Aujourd’hui, nous sommes passés à une autre dimension du business avec les fonds d’investissement qui prennent possession des clubs mais aussi des compétitions. Ces entreprises ne sont pas là pour développer ce sport pour lequel elles n’ont d’ailleurs aucune attirance mais pour spéculer. De fait, cela transforme en profondeur l’identité du football et son devenir.

Paradoxalement, les supporters aujourd’hui semblent plus attachés à l’identité de leur club favori que ne l’étaient leur aînés. Est-ce que tu partages cet avis ?

J’évoque dans le livre ce sentiment d’appartenance que les passionnés entretiennent avec leur club. Un supporter ne vit pas sa passion comme peut le faire un mélomane ou un cinéphile. Il est dans le stade un acteur à part entière. Au quotidien, des millions de fans entretiennent avec leur club une grande proximité. Je pense qu’aujourd’hui l’attachement à un club est plus visible. La culture ultra a profondément modifié, dans les années 90, la manière de soutenir son équipe. Dans une société de plus en plus atomisée, le football rassemble et favorise l’appartenance à un club, une histoire et des valeurs. Et puis, compte tenu de l’arrivée massive d’investisseurs étrangers, il y a sans doute en France comme en Angleterre la peur de vivre une forme de dépossession.

Qu’est-ce qui détermine selon toi l’identité d’un club ? Les critères sont-ils les mêmes partout ?

L’identité n’est pas figée dans le temps et elle s’exprime de manière différente d’un club à l’autre. L’identité d’un club se construit à travers son histoire et ses valeurs. C’est à la fois le socle qui apporte la stabilité et la boussole qui permet de garder le cap. Elle se nourrit des mythes et des légendes. L’identité du FC Nantes s’est construite au départ comme nous le savons à travers son identité de jeu. Elle n’a pas grand chose à voir avec celle de l’Olympique de Marseille qui valorise le panache et la fierté d’être Marseillais alors qu’à Saint-Étienne c’est plutôt le courage qui est central. Le marqueur peut selon les pays être la religion, la politique ou l’appartenance à un quartier. Toutefois, aujourd’hui avec la mondialisation on observe une banalisation de l’identité d’un club au profit de l’identité de marque. Le marketing prend le pas sur l’histoire et les valeurs.

Aujourd’hui, est-ce que les supporters ne sont pas partagés entre l’attente d’un investisseur important, qui attirerait de grands joueurs dans l’équipe, et la préservation de l’identité du club au risque de réviser les ambitions sportives à la baisse ?

Je pense qu’il y a là en effet une réelle ligne de fracture entre ceux qui consomment avant tout du spectacle et d’autres pour qui un club de football professionnel n’est pas une entreprise comme les autres. L’exemple de Newcastle est éloquent : la première année du rachat par l’Arabie Saoudite, les fans défilaient dans la rue pour critiquer le changement de gouvernance. L’année suivante, face à la richesse du recrutement, ils chantaient dans le stade. Mais les supporters ne sont pas toujours aussi versatiles. En Angleterre, de nombreux clubs de quatrième ou cinquième division attirent chaque week-end plusieurs milliers de supporters fidèles. En fait, la Premier League anglaise est concurrencée dans son propre pays par un football populaire qui revendique la préservation de l’identité et ce phénomène s’observe déjà en France à une moindre échelle.

Naguère, les identités de jeu étaient très fortes, notamment dans les sélections nationales. Aujourd’hui, lors des Coupes du monde ou des Euros, les différences de style sont moins marquées. Comment l’expliques-tu ?

C’est vrai que chaque sélection avait autrefois sa propre manière de jouer au football. La Samba brésilienne des années 70 distillait un rythme bien différent de celui du tango argentin. Il y avait la rigueur allemande, la puissance anglaise, la roublardise italienne. Les matchs internationaux proposaient des confrontations de style qui n’existent plus aujourd’hui. C’est le produit de la mondialisation. Les frontières n’existent plus depuis l’arrêt Bosman (1995) et nous constatons avec la mixité des équipes de club une uniformisation du système de jeu. Toutefois, ce qui reste fidèle à la culture locale de chaque pays c’est la manière de vivre le football. L’ambiance d’un stade péruvien n’est pas comparable à celle d’un stade croate ou portugais. Le football, c’est une culture populaire qui génère de la passion et qui se refuse à être seulement un beau divertissement.