La vie de supporter est rythmée par les séparations. Pour les Nantais, les adieux avec Randal Kolo Muani seront fortement douloureux. Arrivé sur la pointe des pieds en décembre 2015, à 17 ans, RKM a marqué de son empreinte les deux dernières saisons du FCN. Sorti du chapeau de Christian Gourcuff le 30 août 2020 contre le Nîmes Olympique, il est devenu en deux ans l’élément incontournable de l’attaque nantaise. Peu l’auraient parié, à commencer par la direction du FC Nantes, incapable de lui proposer un contrat à la hauteur de son talent. Conséquence : après deux saisons pleines sur les rives de l’Erdre, l’avant-centre va quitter Nantes pour Francfort. À la veille de sa dernière en jaune, ce 21 mai 2022 contre l’AS Saint-Etienne, revenons sur son parcours, à travers le regard de ceux qui l’ont forgé, et qui, malgré les difficultés, ont toujours cru en lui.
Croissance express, problème majeur
“Je me souviens d’un tout petit garçon, tout timide, très introverti, lance Nicolas Damont au moment d’évoquer ses premiers souvenirs de Randal Kolo Muani, qu’il a entraîné une saison en U17 nationaux à l’US Torcy. Un peu à l’image de ce qu’on voit aujourd’hui quand il est à la caméra, avec ce petit sourire en coin. Mais il était vraiment tout petit, rien à voir avec le géant que l’on voit maintenant à la télé”, insiste-t-il. En trois ans dans le club francilien, le petit Randal a poussé. Beaucoup poussé. “Quand il arrive en U14, il est le plus petit de l’effectif, et quand il repart en U17, il est l’un des plus grands”, poursuit Nicolas Damont. Et cette transformation physique express n’est pas sans conséquence. “Il n’arrêtait pas de grandir, ça a généré des problèmes au genou, au dos, aux talons. Ce n’était vraiment pas facile. ”
“Il a fallu qu'il s’adapte à son nouveau corps”, complète Loïc Ferry, le premier entraîneur de Kolo Muani à Villepinte, de l’école de football jusqu’aux U13. Celui qui, aussi, a emmené Randal dans son porte-bagages lors de son départ vers l’US Torcy. “Il n’a jamais lâché, il a pris son mal en patience. Il lui a fallu du mental pour ne pas arrêter. Il était très bien entouré par ses frères, ses parents, ses éducateurs”, explique l’entraîneur, et chauffeur personnel de RKM. Loïc Ferry emmenait et ramenait régulièrement son poulain à l’entraînement dans son nouveau club pour dépanner les parents de Randal, souvent occupés par le travail. “On a beaucoup échangé avec sa famille au sujet de ses blessures. On a toujours cru en ses capacités, et au fait qu’il pourrait exploser à un moment.”
(© Gérald Mounard)
Cette détonation tant attendue a finalement eu lieu. Avec, pour allumer la mèche, un déplacement de l’US Torcy du côté de Mulhouse, un après-midi de décembre 2014. “Il marque à la dernière minute, se remémore Nicolas Damont. C’était son premier but de la saison, il l’a vécu comme une bouffée d’oxygène. Il avait des larmes de joie." Une fois lancée, la machine ne s’arrête plus. “Randal marque huit ou neuf fois sur les 13 derniers matchs. À Torcy, il n’a été en pleine possession de ses moyens qu’en deuxième partie de sa saison U17, et c’est ce qui lui a permis de se lancer.”
Échec en Italie, rebond à Nantes
Ses performances ne passent pas inaperçues. Deux clubs italiens, Cremonense et Vicenza toquent à la porte en fin de saison. Mais malgré un essai concluant au sein du second club, l’attaquant ne franchira pas définitivement les Alpes. “Ça ne s’est pas fait, notamment pour des raisons administratives, explique Nicolas Damont. Les transferts européens sont toujours un peu compliqués en raison des indemnités de formation. L’une des règles que l’on a mis en place c’est que peu importe le club ou Randal allait signer, en France ou en Italie, il fallait que le travail de Torcy soit reconnu. Le club n’a jamais lâché. Ce n’est pas la seule raison, mais ça fait partie des choses qui ont empêché le transfert. Au final, il s’est retrouvé à Nantes, et je pense que c’était un bon choix”
Rentré en France, à Neuilly-sur-Marne, où il empile les buts, Kolo Muani voit un nouveau club professionnel lui offrir un essai en décembre 2015. Cette fois-ci, c’est un club de Ligue 1 : le FC Nantes. “On me l’a présenté comme un jeune qui sortait d’une grosse saison en U17, mais qui s’était un peu égaré en Italie, expose Charles Devineau, à l’époque entraîneur des U19 du FCN. J’ai validé son profil dès le premier entraînement. Il a très vite pris du temps de jeu. Il avait un petit déficit devant le but, mais il était déjà très percutant. Il allait plus vite que les autres, il avait une facilité à éliminer, il sautait plus haut… il était au-dessus, se remémore l’actuel coach de La Roche-sur-Yon, en National 3.
(© Gérald Mounard)
Après une bonne demi-saison U19, RKM navigue entre les jeunes et la N2, où il commence à performer. “Cette deuxième saison a validé sa progression, analyse Charles Devineau. Avant de partir du FC Nantes, j’ai donné mon avis pour qu’il passe stagiaire pro. Il a fait une saison entre le groupe pro et la N2 avec quelques apparitions en équipe première.” Lancé dans le grand bain par Vahid Halilhodzic à Geoffroy-Guichard le 31 novembre 2018, Kolo Muani entre en jeu à six reprises en Ligue 1, sans convaincre. Le FC Nantes décide alors de le prêter en National, à Boulogne-sur-Mer (14 matchs, 3 buts, 5 passes décisives, saison interrompue par la pandémie). “Je pense que c’était un très bon choix, une décision très importante dans sa carrière, appuie Nicolas Damont. J’en ai discuté avec Laurent (Guyot), l’entraîneur de Boulogne. Il me disait être très content du passage de Randal sur cette saison-là."
“Randal, c’est une force tranquille”
La suite, on la connaît. À la surprise générale, Randal Kolo Muani est titularisé par Christian Gourcuff le 30 août 2020, lors de la deuxième journée de championnat contre Nîmes. Dans une équipe nantaise à l’agonie, à deux doigts du précipice, RKM s’impose dans le onze titulaire. Buteur lors des barrages de relégation contre Toulouse, il permet même au FC Nantes de sauver sa peau en Ligue 1. Du haut de ses 23 buts et ses 14 passes décisives, il est le joueur le plus prolifique du FCN sur les deux dernières saisons, et l’un des grands artisans du premier titre du club depuis 20 ans. Une réussite insolente, pour un garçon que rien ne perturbe.
“Ce n’est pas tant l’explosion qui est impressionnante, c’est sa régularité, expose Charles Devineau. Il n’a jamais de trous d’air. Là-dessus je lui tire vraiment mon chapeau. Il aurait aussi pu se pourrir la vie avec ses histoires de contrat, mais au contraire, j’ai même l’impression que ça l’a galvanisé.” Propos complétés par son coach de toujours, Loïc Ferry : “Randal, c’est une force tranquille. Il a un parcours atypique, il n’est pas passé par Clairefontaine, il n’a pas fait toutes les sélections jeunes. Au final, je pense que ça a été un mal pour un bien. Il a pu travailler dans son coin, progresser”. Au point de se hisser jusqu’au Stade de France. Et de gagner. “Quand je le vois soulever la Coupe de France avec le FC Nantes, à 5 kilomètres de notre petit terrain de quartier, c’est exceptionnel. J’en ai encore des frissons.”
(© Gérald Mounard)
La suite de l’histoire s’écrira donc à Francfort. Un peu plus loin encore de Villepinte, sa terre d’origine. “Peut-être que le fait d’aller en Allemagne va lui permettre de s’intégrer tranquillement, de ne pas avoir forcément des journalistes toujours derrière lui, avance Loïc Ferry. Cela correspond bien à sa personnalité : être tranquille, dans son coin, et travailler. Je pense que c’est le bon pays pour qu’il explose encore plus.” En plus de découvrir la Bundesliga, Kolo Muani effectuera ses premiers pas en Ligue des Champions avec l’Eintracht, vainqueur ce mercredi de la Ligue Europa contre les Glasgow Rangers. Une nouvelle perspective excitante, dans la carrière d’un jeune homme à la progression express, que ses anciens éducateurs suivent avec admiration. Et n’est-ce pas là, la plus belle des victoires ?