Quel est à travers votre expérience de journaliste sportif votre souvenir le plus marquant ?
Ce qui me vient à l’esprit immédiatement c’est le match en novembre 1993 au Parc des Princes contre la Bulgarie. Je commente le match en direct pour Europe 1 et à quelques minutes de la fin de la rencontre je dois descendre de la tribune pour rejoindre la pelouse afin d’interviewer les joueurs et le sélectionneur Gérard Houllier. La France tient sa qualification pour la Coupe du Monde aux Etats Unis. C’est à ce moment-là que j’entends dans le casque que Kostadinov vient de marquer un but dans les arrêts de jeu. L’équipe de France est éliminée. C’est la consternation. L’irrationnel vient de s’inviter dans le stade et la joie se transforme en profonde détresse.
Peut-on dire que le football est une culture ?... Qu’est-ce qui peut justifier que l’on puisse la considérer comme telle ?
C’est une culture pour tous ceux qui aiment le jeu. Une culture qui rassemble autour de la beauté, de la création et de l’incertitude. Le football fait partager des émotions qui sont incroyables. Prenons l’exemple de la finale de la Coupe du Monde au Qatar contre l’Argentine. On a vécu un moment extraordinaire dans ce match car pendant 20 minutes les joueurs se sont libérés de toute contrainte. Il n’y avait plus de stratégie ou presque. La rencontre est devenue une formidable cour de récréation. Un moment de pur bonheur. Le football c’est une culture populaire et je lui reconnais la fragilité de toutes les activités humaines. Que ce soit le théâtre ou la musique… ces activités sont menacées par une société qui est devenue marchande et dans laquelle ou oublie l’essentiel.
Quelle est à votre avis la nature de cette menace ?
Le spectacle devient plus important que le jeu. Le stade appartient dorénavant à la télévision. Le flux d’image que l’on déverse sur les écrans devient obscène. Les moments de sincérité sont devenus très rares et il y a beaucoup de superficialité dans tout cela. J’ai regardé les championnats du monde d’athlétisme. A quoi bon suivre les athlètes dans la salle d’appel juste avant la compétition. Les montrer ensuite dans le bus en train de faire le show. L’intimité n’est plus préservée. Je ne dis pas qu’hier c’était forcément mieux mais je pense qu’aujourd’hui c’est une véritable catastrophe. Dans le football nous assistons aux mêmes dérives. C’est le grand cirque. La télévision a volé l’identité du football. La grande société du spectacle est très dangereuse parce qu’elle n’est pas critiquable.
Est-ce que le football peut tout de même rester une culture populaire malgré toutes les évolutions actuelles auxquelles nous assistons ?
Ce n’est pas le football lui-même qui est responsable de cette autodestruction. Il n’est que le reflet de la société ni plus ni moins. Nous vivons du point de vue de l’humanité et du partage dans une période de forte régression. Le football joue le rôle qu’on lui demande de jouer. A vrai dire avec la démultiplication des compétitions on assiste à 5 matchs intéressants par saison. Le reste n’est que profit, massification et répétition. Il arrivera un jour ou nous en aurons marre de vivre dans ce monde qui privilégie l’argent et le spectacle. Même quelqu’un comme Michel Platini qui a été pourtant un acteur majeur de ce football business ne souhaitait pas que celui-ci s’engage dans une telle direction.
Est-ce que les passionnés du football sont en mesure de résister à cette stratégie de l’image et de la marchandisation ?
Je l’espère mais pour l’instant la passivité domine. Il y a un risque c’est que l’image imposée par la télévision rende fade le réel. Ce qui m’effraie le plus c’est de voir comment cette stratégie infuse et perfuse au niveau des plus jeunes. J’ai assisté il y a quelques temps à une compétition internationale avec les meilleurs clubs européens. Un immense écran avec, dans les postures, de l’imitation et dans le jeu une absence de création et de caractère unique. On ne peut plus parler de football comme en parlait merveilleusement Pier Paolo Pasolini sans parler aussi de la société.
Dans la préface du livre « Le grand Footoir » vous dites que nous n’avons pas renoncé à entrer dans ce rêve qu’on voudrait nous confisquer. Comment faites-vous pour vous préserver votre passion pour le football ?
En premier lieu, je choisis les matchs que je veux regarder. Nous ne sommes pas seulement des sujets obligés de subir. Chacun d’entre nous peut être acteur de sa propre passion. Je n’écoute pas les commentaires. Tout ce qui est hystérique et déraisonnable ne m’intéresse pas. Je vais voir les matchs dans un café. Cela crée du lien. Devoir être le lundi sur Prime et le mardi sur Be IN Sport je trouve que c’est du mépris pour les passionnés de foot.