A quel moment est né votre intérêt pour le football sur le plan personnel et professionnel ?
J’ai découvert le football professionnel comme je pense pas mal de français de ma génération en 1976 avec l’AS Saint Etienne. J’avais onze ans et je commençais à jouer au foot. Le football était plus rare à la télévision mais on pouvait s’informer en lisant « Onze » et « France Football ». Très vite, j’ai eu le virus. Par sa rareté sur les écrans le football à l’époque faisait plus appel à l’imaginaire.
J’ai fait mon service national au lycée français de Turin et à l’occasion d’un match du Torino où il y avait 40 000 spectateurs dans le stade je me suis dit que le football serait une bonne perspective pour appréhender l’histoire de l’Italie. J’ai donc fait une thèse sur le football à Turin qui couvrait notamment la période du fascisme. Ensuite, à partir de 2000 j’ai fréquenté régulièrement les archives de la FIFA à Zurich ce qui a en partie nourri ensuite mon livre sur l’histoire du football.
En tant qu’historien, quel est votre regard sur l’évolution du football ?
Ma première réaction serait de dire que n’y a rien de nouveau sous le soleil. Dès 1910, certains articles de journaux affirmaient que l’esprit n’était déjà plus le même notamment à cause du recrutement des joueurs. Ensuite, il est évident qu’en France l’arrivée du professionnalisme en 1932 provoque une transformation radicale. Plus récemment, les années 80 avec des dirigeants comme Berlusconi et Tapie ouvrent une nouvelle ère : celle du football business…
Toutefois, en prenant un peu de recul on prend vite conscience que la période actuelle initie une nouvelle étape dans la transformation. C’est clairement l’argent qui change tout. Raymond Kopa n’a pas fait fortune dans le football mais dans les affaires qu’il a su développer. Les capitaux engagés aujourd’hui n’ont rien de comparables avec ceux de la décennie précédente. Dans le football le rapport à l’argent a changé. Auparavant un club était financé par un mécène. Aujourd’hui l’argent est devenu une fin en soi.
Et puis il y a eu l’arrêt Bosman avec la libre circulation des joueurs qui transforme le rapport au club. De même, la commercialisation du football fait des stades des lieux de consommation. On peut reprendre à ce propos la notion de « non lieu » de l’anthropologue Marc Augier. À savoir un espace de la mondialisation interchangeable comme ces stades qui se ressemblent tous. Autre changement majeur : la temporalité du football. Il n’y a plus de temps dédié au football. Auparavant pour les Britanniques c’était un sport d’hiver. Maintenant il se pratique toute l’année et presque chaque jour pour satisfaire les diffuseurs. Il y a une sorte de trop-plein dans un commerce où l’on cherche plus des consommateurs que des passionnés de football.
Vous avez le sentiment qu’il y a dans le domaine de l’identité des clubs une forme de dépossession des supporters ?
C’est très clair. Je suis d’origine parisienne et dans le cas du PSG, les Qataris ont complétement occulté l’idée que ce club avait une histoire avant leur arrivée. Paris a gagné en 1996 la Coupe d’Europe des Vainqueurs de Coupe et fait partie du patrimoine sportif de la Ville depuis sa création. L’exemple type c’est ce les propriétaires sont en train de vouloir faire concernant le projet d’acquisition du Parc des Princes. Il me semble normal que Anne Hidalgo refuse de vendre le stade. Les Qataris ne comprennent pas qu’une propriété publique et historique est inaliénable. De tels agissement peuvent d’ailleurs contribuer à des formes de xénophobie et à éloigner du club des passionnés qui considèrent que ce n’est plus leur sport. Ils pourraient ainsi privilégier le football à un échelon local car celui-ci respecte une certaine tradition.
Si aujourd’hui vous disposiez à quelques niveaux des instances de football de la capacité à faire évoluer le football. Quelles seraient vos priorités ?
Il faut garder en tête que le football reste une culture populaire. C’est précieux de pouvoir se retrouver ensemble dans une société qui atomise. La perte d’identité du football est un vrai problème. Les identités régionales s’expriment moins en France qu’en Italie ou en Espagne parce que nous sommes un pays centralisé. Dans notre pays, la culture du sport a aussi été négligé par les élites. Comme en Allemagne, il faudrait que la propriété des clubs ne puisse pas échapper aux investisseurs locaux ou nationaux. Il faudrait pour créer un engagement donner la possibilité à chacun de devenir membre du club qu’il soutient.
Un autre aspect important est de revenir au respect de l’arbitrage. Au cœur du jeu, il y a la nécessité du respect de l’éthique et de la règle. Rien n’est possible sans cela. Les instances se montrent actuellement impuissantes à agir. L’exemple vient d’en haut. Si les joueurs professionnels deviennent exemplaires je suis persuadé que cela va redescendre à tous les niveaux.