Est-ce que tu peux nous rappeler ce que sont tes débuts dans le football ?

J’ai commencé assez tardivement à presque 10 ans le football dans le petit club de Quéven près de Lorient où habitait ma famille.  J’ai été très vite repéré par Nantes via les sélections départementales. Bud à partir de mes 12 ans venait souvent à la maison et il a su créer une relation de confiance avec mes parents. Il savait de quoi il parlait dans le domaine de la formation et son image d’ancien joueur était très rassurante. Je suis arrivé au centre de formation dirigé par Raynald Denoueix à l’âge de 15 ans en 1986. Cette structure fonctionnait en petit comité pas comme c'est le cas aujourd’hui avec une cellule de performance et des préparateurs physiques. C’était le début du Centre mais on sentait déjà beaucoup de professionnalisme.

Nantes était le seul club qui permettait de suivre une scolarité normale. Moi je suis rentré en troisième alors que les autres clubs proposaient seulement de faire le CAP du football. Michel Tronson a trouvé la bonne formule en matière de scolarité et cela a été un point déterminant pour attirer les jeunes de ma génération. Jean-Claude Baudouin  était mon coach le week-end.

Tu peux nous dire comment fonctionnait à l'époque le centre de formation ?

La semaine s’organisait de la manière suivante : on se levait à 7h30 pour faire 2 heures d’étude entre 8h30 et 10h30 puis ensuite c'était l'entraînement. Repas du midi avec dans le prolongement reprise de la scolarité jusqu’à 16h30 puis de nouveau un entraînement jusqu’à 18 heures.

Dans le Centre, il y avait une vingtaine de jeunes. Moi je suis issu de la génération Stéphane Ziani, Raynald Pedros. Stéphane Moreau. Patrice Loko et Jean-Michel Ferri étaient déjà là. Quand les portes du Centre se fermaient le soir vers  20h30, il n’y avait pas de pion pour nous surveiller. Le club nous faisait entièrement confiance.

Je rentrais chez moi 15 jours pour Noël et à partir du mois de mai je disposais d’une autre période de congé. Passionné de tennis, je regardais Roland-Garros tous les jours à la télé. Je me sentais en total décalage avec les autres jeunes de mon âge car j’étais déjà dans la vie professionnelle avec la forte volonté de réussir. Cela a provoqué une rupture avec mes copains d’enfance qui allaient encore à l’école.

Est-ce que l’apprentissage de ce métier est compliqué pour un jeune de 15 ans ? Quel était à cette époque ta manière de vivre le football ?

On passe rapidement beaucoup d’étapes que l’on peut parfois ensuite regretter. On est focalisé sur le football. Ce milieu-là nous fait gagner beaucoup en maturité. Moi, je savais pourquoi j’étais là. J’ai un tempérament de fonceur et je ne m’étais pas donné de seconde option. Pour moi, l’échec était impensable. J’ai joué mon premier match pro à 17 ans. Sur le plan mental il faut être convaincu que l’on va réussir et ne pas laisser de place au doute. Également dans la tête des coachs.

On sait que l’on rentre dans un monde de compétition et qu’une sélection sera faite à l'issue de la formation. Surtout à mon poste. C’est la même chose pour le gardien de but. Le nombre de places est limité, faute de polyvalence. Ce n’est pas simple à vivre car il faut être aussi dans le partage

Dans le football, il est vrai que le poste d’avant-centre est un peu à part.  Est-ce que tu avais des modèles ?

J’ai toujours joué à ce poste d’avant-centre dans ma carrière à part la dernière année en Chine. J’ai adoré la finalité qui consiste à marquer des buts et le plaisir de voir trembler les filets. J’étais buteur mais j’aimais aussi participer au jeu. Comme modèle j’avais Van Basten mais aussi Philippe Anziani que j’ai vu jouer à Nantes.  Je me suis beaucoup inspiré de lui et de sa technique. C’était un joueur très intelligent. J’aurai aimé discuter avec lui. Techniquement il était très fort notamment dans le domaine des contrôles orientés. J'appréciais aussi Dominique Rocheteau et Michel Platini. Ils avaient cette poésie dans le jeu qui m’intéressait beaucoup. A Nantes, j’aimais beaucoup la personnalité de Max Bossis : sa posture, son élégance, sa retenue. Quelqu’un en totale maitrise.

Qu’est-ce qui a été pour toi le plus surprenant lorsque tu es arrivé au centre de formation ?

La première chose qui m’a marqué quand je suis arrivé à la Jonelière c’était la froideur des lieux. Une froideur positive qui m’a beaucoup inspiré. Un lieu très professionnel qui sentait la force. Raynald et Coco maîtrisaient complétement leurs connaissances sur le jeu et les jeunes. Je suis presque sût que Coco était en mesure de savoir ce que nous serions capables de faire 4 ans plus tard. C’était un visionnaire. Le fait d’avoir été choisi par ces coachs décuplait mon énergie. Avec Coco, je n’étais pas à l’aise dans la relation mais j’avais envie de travailler avec lui. Au début, d'ailleurs quand je le croisais je n'osais pas le regarder dans les yeux. Il dégageait une telle énergie. Raynald c’est pareil.  Ce sont des taiseux.

Quand tu es jeune, il y a des rituels, des étapes à franchir. Il y avait une solennité dans la relation. Cela sacralisait le lieu. C’est cette vision que j’ai à l’esprit quand je pense aux premiers moments passés à la Jonelière. A 15 ans, on te laisse un peu tranquille mais on t’observe. Coco ne te dit rien mais il te montre son intérêt puis à 16 ans il vient te voir pour te dire que cela ne va pas du tout. Je me souviens d’un match où je me fais une périostite au tibia et dans le cabinet de Doc Bryand il me dit « toi le gros tu as intérêt à te bouger le cul sinon ce n’est pas ici que tu vas jouer en pro ». Quand Coco ne te parlait pas, c’était terrible et un mauvais présage. Quand il s’intéressait à un jeune, il le piquait. Un style provocateur. Il jouait beaucoup sur les caractères des uns et des autres. Avec Jean-Michel Ferri qui a un caractère très souple comme la critique coulait sur lui il devait se dire que cela ne servait à rien de lui mettre la pression. Avec moi. Il savait que j’allais réagir.

Est-ce que tu peux nous parler de la personnalité de Raynald Denoueix ?

Raynald était au début de sa carrière comme responsable du Centre. Il était à la recherche de son expression car il côtoyait quelqu’un qui à côté de lui prenait beaucoup de place. Il est beaucoup plus structuré et méthodique que Coco et de ce fait plus rassurant pour les gamins. J’ai beaucoup appris à son contact dans le domaine de la rigueur. Avec lui pas de coup de gueule, ni d’éclat de voix. Raynald était plus à distance, par pudeur. Il ne voulait pas être un père de substitution. Après il a raccourci la distance avec la génération 2001. Mickael Landreau me parle d’un Raynald qui est différent de celui que j’ai connu.

Que peux tu nous dire sur la relation entre le Centre de formation et l’équipe première ?...

Le vestiaire de la formation était juste à côté de celui des pros et nous étions donc en contact permanent avec eux. On nettoyait les chaussures des joueurs pros. J’ai brossé celles de Jorge Burruchaga quelques jours seulement après l’avoir vu à la télévision soulever avec Diego Maradona la Coupe du Monde. C’était extraordinaire pour moi. On jouait même très jeune en D3 et D4 et Coco venait assister à tous les matchs même lorsqu’il était coach de l’équipe première.