A quand remonte votre intérêt pour le sport et le football en particulier ?

J’ai joué au football lorsque j’étais adolescent puis j’ai fait le choix du professorat d’éducation physique et enfin celui de la recherche. Ma thèse de doctorat en 1989 à partir de l’approche systémique portait sur le "Football en Mouvement". Mon directeur de thèse était Michel Fayol (psychologue de l’apprentissage) qui m’a fortement incité à aller voir ce qui se passait à l’étranger, c’est comme cela que je suis allé à l’école polytechnique de Liverpool.

"L’entraîneur devient le premier fusible"

Quel regard portez-vous sur les principales évolutions du football concernant ces deux dernières décennies ?

Ce qui frappe c’est évidemment le développement du business. Il a transformé en profondeur l’environnement de ce sport à travers le pouvoir des agents, la durée des contrats des joueurs, mais aussi le comportement des parents. Dans le domaine du journalisme, la priorité consiste aujourd’hui à vendre du papier et l’on fait plus dans le ragot que dans l’information.

Durant cette même période, qu’est-ce qui est devenu vraiment différent dans le métier d’entraîneur pro ?

Ce qui est pire qu’auparavant, c’est la pratique du siège éjectable. L’entraîneur devient le premier fusible en cas de problème. Il est d’ailleurs bien souvent amené à payer les erreurs de ses dirigeants. Lorsque dans un club un président n’hésite pas à vendre durant l’intersaison toute la colonne vertébrale de son équipe, comment peut-il ensuite s’étonner de la voir moins performante ?

Aujourd’hui, dans l’organisation des clubs pro est-ce que l’entraîneur reste le leader technique ?

Cela devrait être le cas. Le directeur sportif n’a pas d’obligations de résultat. Ce n’est pas lui qui se retrouve en première ligne en cas de problème. La difficulté apparaît lorsqu’il y a trop de monde en mesure de prendre des décisions. Le vestiaire devient alors ingérable. C’est pourquoi il est vital pour un coach de savoir gérer l’humain avec ceux qui jouent et ceux qui ne jouent pas. Si vous avez dans l’effectif un joueur acheté 50 millions vous êtes dans l’obligation de le faire jouer. Il faut aussi savoir maîtriser la transition entre l’académie et l’équipe première.

Le métier d’entraîneur est devenu plus complexe et précaire. Comment un entraîneur peut-il s’adapter à cette nouvelle donne ?

Souvent, les entraîneurs ont une expérience mais ils ne disposent pas d’une réelle formation notamment dans la capacité à gérer l’humain. Quand on s’appuie sur l’expérience, on reproduit ce que l’on a vécu. Une formation ce n’est pas un acquis mais un chemin à parcourir. C’est le doute et pas la certitude. C’est la capacité pour l’entraîneur à s’interroger sur la manière dont les connaissances ont été préalablement constituées.

"Il faut lire le Portugais, l’Espagnol ou l’Anglais"

Dans ce milieu, est-ce que le problème ne réside pas en grande partie dans le poids culturel accordé à l’expérience en tant que joueur pro ?

Il est vrai que les ex-joueurs pro sont privilégiés dans les filières de formation mais ce constat se vérifie aussi dans d’autres sports tels que le ski, le tennis ou le judo. Dans notre pays, on continue à croire que l’expérience peut suffire pour entraîner au haut niveau. Ce n’est pas parce qu’on a été un joueur de haut niveau qu’on peut devenir par la suite un entraîneur performant ou un bon éducateur. Le jeu c’est un rapport au savoir. C’est un choix tactique. En fait dans la réalité on ne parle pas de cela. Le rapport au pouvoir passe avant le rapport au savoir. Les entraîneurs ont besoin pour développer leurs compétences d’acquérir des références théoriques. C’est la méthodologie qui permet de se poser les bonnes questions et de concevoir un véritable projet de jeu. Aujourd’hui il faut élargir ses références. Il faut lire le Portugais, l’Espagnol ou l’Anglais. Il y a toute une littérature qui existe mais qui n’est pas exploitée. Guy Roux ou Paul Frantz lisaient l’Allemand et ils étaient très imprégnés de ce qui se faisait Outre-Rhin. Dans cette approche, il faut s’appuyer sur la technologie mais les datas sont souvent mal utilisés. Par exemple l’indicateur concernant "les balles perdues" est rarement pris en compte alors que c’est pourtant un indice très significatif de ce qui se passe au sein d’une équipe.

Est-ce qu’en France la recherche universitaire est sollicitée dans le domaine de la formation par la Fédération française de football ?

Dans le passé, nous avons essayé de travailler en partenariat avec la Fédération française de football mais cela n’a pas été réellement possible. Gérard Houiller a poursuivi la même politique que celle de Georges Boulogne. Avec François Blaquart il y a eu une plus grande ouverture. En France, le paradoxe c’est que la Fédération gère les diplômes payants et qu’elle érige dans le même temps les règles pour entraîner un club. C’est un peu comme si on demandait à un détenu de prendre en charge les clés de la cellule. Un des enjeux aujourd'hui serait de mettre en place des collaborations afin de produire de la connaissance et du savoir mais les choses évoluent lentement.