Interview réalisé par Bernard Verret et Bruno Briand
Dans quelles conditions étiez-vous arrivé au FC Nantes ?
C’était à la fin des années 1960 et Nantes avait été le club de cette décennie. Je vivais à Marseille où j’étais arrivé dans le sillage de mes parents, en provenance d’Oran, à 6 ans. Evidemment, gamin, j’avais été un fondu de l’OM, mais ce dernier, à l’époque, par rapport à Nantes, ce n’était rien. Le FC Nantes, c’était un style, une philosophie de jeu avec un entraîneur génial, José Arribas. Il y avait eu le football à la Rémoise et là, il y avait le football à la Nantaise. Ça faisait envie. J’avais lancé une petite maison d’édition, j’ai proposé à Nantes de faire un livre d’or, tout est parti de là. J’ai rencontré Robert Budzynski et Sylvain Ichoua, un membre du comité directeur, et je leur ai soumis mon idée. Ils ont tout de suite adhéré au projet et le succès a dépassé les espérances. On a fait cet album, avec du texte et de la publicité, j’ai eu beaucoup d’annonceurs et les chiffres de vente ont été tels que nous avons gagné pas mal d’argent. Mais il n’y a pas eu que ça, j’ai vite compris que le FC Nantes pouvait considérablement améliorer ses recettes.
"Je faisais rentrer de l’argent, cela plaidait en ma faveur"
Lors de mon premier rendez-vous avec Robert Budzynski, nous étions à Marcel-Saupin où les joueurs s’entraînaient, un jour de pluie. J’ai tout de suite pensé que ce stade était beau mais triste. Sans couleurs. J’ai regardé les panneaux publicitaires, ils étaient peu nombreux, sans fantaisie. J’ai demandé qui s’en occupait, c’était une société parisienne, laquelle se montrait timorée et reversait une somme dérisoire à la mairie. Son contrat avec la mairie approchait de son terme, j’ai postulé pour le reprendre. Ensuite, en quelques mois, j’ai trouvé plein d’annonceurs nantais, je faisais confectionner les panneaux par une entreprise de peinture locale et bientôt il y en a eu tout autour du stade. Tout de suite, le décor a paru plus gai tandis, et c’était le plus important, que l’argent rentrait dans les caisses du FC Nantes. Après, je me suis attaqué aux produits dérivés, un secteur que les clubs négligeaient totalement. Nous en avons multiplié le nombre et surtout c’est le FC Nantes Promotion qui les a commercialisés, au stade et dans une boutique en ville, rue de la Bastille pour commencer. Au début, cela a d’ailleurs provoqué un petit conflit avec un club de supporters qui vendaient des écharpes et des fanions de façon indépendante. Leur président ne m’aimait pas beaucoup…
Comment aviez-vous été accueilli au sein du FC Nantes lui-même ?
Je faisais rentrer de l’argent, cela plaidait en ma faveur. Robert Budzynski m’a toujours soutenu, dès le début. Il était aussi enthousiaste que moi. Sylvain Ichoua était de notre côté. Claude Simonet aussi. Louis Fonteneau nous laissait faire, il avait compris que je travaillais dans l’intérêt du club, je crois qu’il était étonné de notre réussite. Jean Clerfeuille se montrait un peu plus circonspect mais franchement il ne m’a jamais mis de bâton dans les roues, ni même proféré des critiques.
Robert Budzynski est, parmi les dirigeants, l’homme qui vous a le plus marqué ?
Indiscutablement. D’ailleurs il est devenu un ami et il l’a été jusqu’à la fin de sa vie. Nous nous téléphonions très souvent et sa disparition a été un profond déchirement. Quelques temps auparavant, il m’avait dit : « Au fond, mon plus beau recrutement, c’est toi ». Quel compliment !
Et parmi les joueurs ?
Henri Michel ! Il avait tout pour lui. La technique, l’élégance, la vision du jeu. C’était l’un des meilleurs milieux de terrain du monde. J’appréciais également beaucoup Eric Pécout, un exemple d’humilité, de simplicité. Et puis tous les ‘’grands’’ anciens, les Gaby De Michèle, Gilbert Le Chenadec, Bernard Blanchet, Georges Eo, Claude Robin Raynald Denoueix. Des hommes qui ont toujours été fidèles au club, le FCN pour eux c’était ‘’à la vie à la mort’’. Certains sont partis mais ils sont revenus.
Vous dites « Henri Michel avait tout pour lui », qu’est-ce qui lui a manqué alors ?
Ah ! C’est difficile à dire. Tous ceux qui l’ont connu le savent. Tant de talent, tant de classe ! Sur le terrain, il était intouchable.
On a pourtant dit que vous ne l’avez pas défendu quand il a été débarqué de son poste de sélectionneur en 1988.
Ça, ce sont des histoires. Ce n’est surtout pas moi qui ai voulu la peau de Mickey, surtout pour le remplacer par Michel Platini qui n’a jamais été mon ami. L’équipe de France traversait une passe difficile, il y avait eu l’affaire Cantona, les résultats n’étaient pas bons et le président de la Fédération de l’époque, Fournet-Fayard, a voulu changer. Il voulait un "nom" pour frapper l’opinion, Claude Bez, que par ailleurs j’admirais, partageait cet avis, ils ne m’ont pas demandé le mien.
Il y a eu ensuite le mariage entre Europe 1 et le FC Nantes, quel a été votre rôle ?
La publicité sur les maillots en était encore à ses balbutiements. Elle était autorisée depuis peu, le FC Nantes avait porté des maillots floqués Crozatier, une marque de meubles puis Tout l’Univers, une société d’encyclopédies. Avec Europe 1, nous avons franchi une autre dimension et entamé une belle histoire. Les premiers contacts aveint été pris avec Bruno Dalle qui m’avait permis de rencontrer Jean-Luc Lagardère. Un homme de grande classe. Je lui ai proposé de faire de la publicité sur notre maillot pour 400.000 francs la saison. Il m’a écouté et m’a dit « C’est intéressant, rappelez-moi ». Je l’ai fait, évidemment. Seulement, il voulait verser seulement 200.000 francs. J’ai soumis cette offre au comité directeur du FCN. « Ce n’est pas assez », a dit Louis Fonteneau. J’ai précisé que Lagardère me proposait aussi des spots gratuits pour annoncer nos matches. A l’époque, Europe 1 était la radio la plus écoutée du pays, avec RTL et je pensais que c’était une porte qui s’ouvrait. Robert Budzynski était à fond avec moi. Les autres rechignaient. Je leur ai dit que c’était vraiment dommage et je suis rentré à l’hôtel où j’étais descendu. Là, j’ai téléphoné à Jean-Luc Lagardère pour lui indiquer que l’accord était possible à 200.000 francs avec en plus des espaces publicitaires radio qu'il m'accordait et que je me chargeais de revendre. Il a accepté et le lendemain j’ai enfin convaincu le comité directeur que cette somme était satisfaisante malgré l'avis de Fonteneau. Il restait cependant à signer le contrat.
"Je dis à Budzynski : On est mal"
Cela devait se faire un soir, juste après le match FC Nantes – Paris Saint-Germain, lequel était donc le club de RTL. Tout l’aéropage d’Europe s’était déplacé, avec à sa tête Jean-Luc Lagardère et il était clair que l’enjeu dépassait le cadre footballistique. Or, à la pause, Nantes était mené 1-0 et je voyais les mines des gens d’Europe qui s’allongeaient, tandis que dans le camp de RTL tout le monde souriait. Je me suis penché vers Robert Budzynski, je lui ai soufflé : « On est mal ». Il est descendu dans le vestiaire et il s’est adressé aux joueurs, ce qu’il ne faisait jamais. Sesparoles étaient fortes, elles n’ont toutefois pas porté tout de suite puisqu’à l’heure de jeu Paris menait 3-0. Je me sentais de plus en plus mal. Sauf que les Canaris ont magnifiquement réagi, ils sont revenus à 3-3, ils auraient même dû gagner 5 ou 6-3. J’observais nos hôtes et je voyais qu’ils étaient tous ravis. Le spectacle avait été splendide, haletant et Nantes restait en tête du championnat. J’ai poussé Bud du coude : « Cette fois, c’est dans la poche ». Louis Fonteneau et Jean-Luc Lagardère ont paraphé l’accord qui unissait le FCN et Europe dans la soirée. Ensuite, il y a eu une réception et elle était joyeuse. Ce match marque un tournant dans l’histoire du club. Peut-être que si nous avions perdu 3-0 l’accord n’aurait pas été signé. Après, le FCN a changé de dimension. Avec Louis Fonteneau, nous disions que désormais le club était Europe et Un, ce qui phonétiquement nous associait à la fois à notre sponsor et à la Coupe d’Europe.
La Coupe d’Europe vous a permis de nouer des contacts avec plusieurs partenaires.
J’ai mis en place les repas entre les dirigeants des deux clubs avant les rendez-vous européens, idée qui a été reprise un peu partout. Nous avons également lancé les charters qui emmenaient à l’extérieur les dirigeants du club, ceux d’Europe 1 et nos invités, parmi lesquels des représentants de la Ligue et de la Fédération. C’est à l’occasion de l’un d’entre eux que j’ai fait la connaissance de Jean Sadoul. Nous avons eu une longue discussion, il s’est rendu compte que ma passion c’était le foot, bien avant l’argent, il a été convaincu de ma probité et c’est lui qui m’a ouvert les portes de la Ligue. Je travaillais déjà avec d’autres clubs, Reims, Nîmes, Sochaux, Monaco, Bordeaux, tous savaient que j’étais "Nantais", que le FCN était mon club, je ne m’en cachais pas, mais tous me faisaient confiance car ils savaient que lorsque j’étais avec eux, je défendais leurs intérêts, il n’y avait aucune ambigüité.
Dans les années 1980, le lien s’est distendu entre le club et Europe 1, notamment après un projet de Max Bouyer qui voulait transformer les Canaris en Corsaires, un virage a-t-il été manqué à ce moment-là ?
Max Bouyer était plein de bonnes intentions mais chez lui l’enjeu commercial passait avant l’aspect footballistique, il ne possédait pas la philosophie du jeu à la Nantaise et cela a amené le club à commettre des erreurs qui ont conduit à une impasse financière en 1992. Guy Scherrer, un dirigeant que j’ai apprécié, avait su redresser la barre. Malheureusement, cela n’a pas duré.
Après, il s’est passé ce que l’on sait, avez-vous suivi les événements ?
Bien sûr. Un jour, Marcel Dassault, qui était devenu propriétaire du club, m’a demandé si j’étais intéressé. Nous avons discuté, il voulait une telle somme que je n’ai pu m’empêcher de lui dire que le FC Nantes, hélas, n'avait plus d'équipe et que je voulais bien le reprendre mais à une condition : qu’il me verse de l’argent.
Des épisodes particuliers vous ont-ils marqué ?
Entre Nantes et moi, ce fut surtout une affaire d’hommes, ce sont donc des souvenirs de rencontres, d’amitié qui me restent. Je n’en ai retenu que du positif. Je peux tout de même vous raconter deux anecdotes. La première, c’est quand nous avions annoncé que le ballon du match serait déposé, juste avant le coup d’envoi, dans le rond central par un parachutiste. Le gars possédait de solides références, c’était un champion. Seulement, le vent soufflait plus fort qu’il le pensait et il s’est posé derrière la tribune opposée. Nous avons dû aller le récupérer dans l’eau. Une autre fois, j’avais voulu faire une surprise à Louis Fonteneau en faisant installer un tableau d’affichage lumineux. Les électriciens avaient bossé comme des dingues, ne lésinant pas sur les heures supplémentaires pour que tout soit prêt. Avant le début de la rencontre, je m’installe donc à côté du président et je lui demande de bien regarder le tableau. L’ennui est qu’il pleuvait des cordes, l’eau s’est infiltrée entre les fils et le tableau est resté obstinément noir. « Il ne se passe pas grand-chose, me disait Louis, fixant toujours le tableau… » Comme quoi, on peut tout tenter mais on ne réussit pas tout.
Vous suivez toujours le FC Nantes ?
Je regarde ses résultats, évidemment. Mais je ne connais plus personne dans le club sauf Waldemar Kita. Tout ce que nous avions créé a disparu, alors je suis, oui, je reste attentif aux résultats. A Marseille, Nantes s'est fait voler.