A quand remonte ta première relation avec le football ?
C’était lors de l’année 1977-78 dans la cour de récréation de mon école avec à l’horizon la Coupe du Monde en Argentine. Sans être de la région, je me suis rapidement intéressé au FC Nantes à travers les exploits d’Henri Michel, Gilles Rampillon, Omar Sahnoun et Max Bossis. J’avais un joueur préféré : c’était Jean-Paul Bertrand-Demanes… C’était émouvant de pouvoir échanger avec lui par mail il y a quelques années.
"Le football regroupe des codes sociaux dans lesquels de nombreuses personnes peuvent se reconnaître"
Dans le domaine du football, je suis le seul universitaire à avoir consacré ma thèse de doctorat à l’histoire de l’Equipe de France. J’ai depuis publié deux ouvrages avec « Les Bleus et la Coupe, de Kopa à Mbappé » puis ensuite avec « Une Histoire de France en crampons ».
Tu viens de publier un troisième livre « un peuple et son football ». Peux-tu nous dire ce qui est au cœur de ce nouveau projet ?
J’ai trop entendu dire que le football n’est pas une culture et que la France n’est pas un pays de football. Je voulais prendre le contre-pied de ces deux affirmations. Il suffit de se rappeler que la France a joué 4 finales de Coupe du monde en 25 ans, et que de très nombreux enfants jouent au football tous les week-ends. Il y a un maillage incroyable des clubs dans notre pays, avec l’endroit au monde qui fournit le plus grand nombre de footballeurs professionnels devant Sao Paolo. Il faut arrêter de fantasmer devant le foot espagnol avec son économie débridée ou face à l’Angleterre où certains stades, même pleins, sont parfois tristes et silencieux.
Et dans le domaine de la culture du football quels sont les éléments clés qui tu aimes mettre en évidence ?
J’aurais tendance à reprendre une phrase de Bourdieu « le musée est important pour ceux qui y vont dans la mesure qu’il permet de se distinguer de ceux qui n’y vont pas ». Le football tout le monde peut y aller. Ce n’est pas l’apanage de quelques-uns mais un terreau pour tous. Ce n’est pas l’opéra. Cela questionne l’opposition qui existe entre culture des élites et culture populaire. Le football regroupe des codes sociaux dans lesquels de nombreuses personnes peuvent se reconnaître. L’historien Pascal Ory explique que « la culture populaire c’est l’ensemble des représentations propres à une société en tant qu’elles sont mises à distance des élites ».
Le foot est un sport populaire mais est-il un sport des peuples car tu montres que le contrôle social est réel ?
C’est une culture des peuples mais dès lors que cette foule offre un intérêt économique, social ou culturel les élites ne sont jamais très loin pour l’orienter et vouloir la contrôler. Voire pour la récupérer. Un exemple que j’évoque dans mon livre c’est Thierry Roland qui incarne cette culture populaire alors qu’il est issu d’une classe sociale privilégiée. Idem avec Jacques Vendroux qui est le petit neveu du Général de Gaulle. Ce sont des rejetons de la bourgeoisie qui s’arrogent le droit d’être les représentants du peuple. Nous pouvons faire un constat similaire à Lens. La chanson des Corons, c’est celle d’un chanteur qui n’a quasiment jamais mis les pieds dans les mines. Il n’y a plus d’extraction minière depuis 1990 mais ce club reste tout de même celui des mineurs qui, pour beaucoup, depuis, sont morts de silicose. C’est clairement un facteur d’identité pour Lens qui est une ville sinistrée et dont les supporters s’accrochent indéfiniment à quelque chose qui n’existe plus depuis 35 ans.
"J’ai de la tendresse pour les supporters, j’en ai beaucoup moins pour ceux qui viennent profiter du spectacle"
C’est une région qui a souffert et on peut comprendre le peuple qui s’identifie à ce passé mais un peu moins le comportement de spectateurs issus de classes plus privilégiées, qui achètent des billets de plus en plus chers pour assister au spectacle qu’offrent les supporters Sang-et-Or. C’est un peu comme dans un zoo. Ceux qui apprécient autant ce spectacle ne devraient pas oublier que ces spectateurs sont aussi ceux qui élisent massivement dès le premier tour les candidats du Rassemblement National. C’est un paradoxe que d’admirer pour leur affirmation identitaire dans un stade, ceux-là même qui sont dénigrés et dénoncés pour leur vote souvent tout aussi identitaire. Le fruit d’une situation politique et de l’abandon de ce peuple par ceux qui viennent le voir en spectacle.
J’ai de la tendresse pour ces supporters dont on peut comprendre la désespérance. J’en ai beaucoup moins pour ceux qui viennent profiter du spectacle : pour eux, le peuple est beau mais comme il sent parfois fort, il ne faut pas trop s’y frotter.
Dans ton livre tu parles de l’importance du bistrot dans la vie quotidienne des supporters et des clubs car souvent le match commence et s’achève là ?
C’est un lieu central dans l’histoire du football. C’était souvent par le passé le siège, le musée, le lieu de partage lors de la troisième mi-temps. C’est un point de repère pour les supporters. Il n’y a pas beaucoup de foot sur un territoire sans un bistrot. Là encore dans le stade, on constate qu’il y a deux poids et deux mesures. L’alcool ne pose pas de problème pour les VIP mais il est interdit pour les gens du peuple. Aujourd’hui, les stades se retrouvent en périphérie des villes comme à Lyon Bordeaux ou Nice et ce n’est plus du tout la même ambiance. Des bistrots que l’on appelait « café des sports » ou « Sportman » c’étaient des lieux de vie.
Une dernière question : comment vois-tu les évolutions actuelles du football ?
Je partage les condamnations concernant les dérives spéculatives tout en considérant qu’il n’y a pas que le football qui subit cela. Dans le cinéma, il y a aussi des problèmes de financement mais a priori cela pose moins de problème que des acteurs soient surpayés. Il faut sans doute rappeler que les joueurs ne sont que des salariés. Le joueur le mieux payé fera toujours gagner plus d’argent à ceux qui investissent sur lui que ce qu’il gagnera lui-même. Il faut lui reconnaître un statut social et entendre ce qu’il exprime sur ses conditions de travail. Il y a quelque chose qui relève du surmenage physique et mental.
"DAZN va peut-être nous faire redécouvrir l’envie de suivre le football à la radio"
Un joueur comme Kylian Mbappé après avoir été adulé se retrouve aujourd’hui détesté. Je trouve cela injuste. Nous devons être capables de protéger nos idoles. Dans le domaine de l’argent quand c’est l’héritier de Bernard Arnault qui gagne des milliards d’euros cela paraît tout à fait logique alors que ce n’est pas le cas lorsqu’il s’agit d’un jeune de banlieue racisé.
Par ailleurs, j’aime bien ce qui se passe au niveau des féminines. On est en train de construire un imaginaire du football féminin. Cela serait une belle avancée sociétale si un jour on fait jouer des équipes mixtes.
Actuellement, il y a trop de matchs. L’épisode DAZN va peut-être nous faire redécouvrir que le manque génère le goût de la rareté et l’envie de suivre le football à la radio. Cette pratique développe l’imaginaire car l’image ne permet jamais de voir le jeu dans sa globalité.
Merci à François pour cette interview. Nous vous conseillons vivement de découvrir ses livres et notamment son dernier « Un peuple et son football » aux éditions du Détour. Un livre qui ne se cache pas derrière les faux semblants.