Les passionnés sont pleinement conscients que depuis 20 ans le football est en pleine transformation. Le métier d’entraîneur n’est plus le même. Comment la formation des entraîneurs pro est-elle en mesure d’accompagner cette évolution ?
Lorsque nous initions une nouvelle promotion d’entraîneurs pro notre premier propos est de dire que leur réussite passée témoigne de leur valeur mais que nous allons leur demander de parler d’eux au présent et pouvoir très vite se projeter dans le futur. Le plus important c’est de savoir où ils veulent aller. Mais pour y parvenir, il faut savoir ce que va être leur futur. Le problème c’est que nos systèmes ne font que parler du passé. Il parle des histoires qui ont eu lieu pas des enjeux et encore moins de la manière d’y faire face. Dans ce monde concurrentiel, aucune entreprise ne peut faire l’impasse sur l’anticipation et la recherche. La création du Centre de Recherche au sein de la DTN est venue répondre à cette volonté.
Pour y parvenir j’ai rencontré de nombreux entraîneurs de haut niveau. Arsène Wenger m’a dit que l’on connaît à peu près tout sur l’entraînement, la préparation athlétique, mais qu’à l’inverse on ne sait pas grand-chose sur ce qui se passe entre l’épaule et le sommet du crâne. Le sujet aujourd’hui est là.
Par ailleurs, j’ai eu l’occasion lors de la préparation des Jeux Olympiques de rencontrer de nombreux staffs et d’aboutir à un autre constat : on fait beaucoup pour les athlètes mais peu pour les entraîneurs. Et c’est un paradoxe puisque les études démontrent que le premier levier de la performance dépend de la dynamique du staff. Les joueurs sont importants mais si le chef d’orchestre et toute la logistique autour de l’équipe ne fonctionne pas la symphonie ne sera pas de bonne qualité. C’est pourquoi nous avons choisi d’orienter notre démarche sur la question de savoir comment maintenir et développer cette dynamique.
Quels sont les axes prioritaires de recherche que vous avez retenus pour accompagner les entraîneurs pros dans le développement de leur efficience ?...
Aujourd’hui, les principaux sujets du Centre de Recherche portent sur l’optimisation de la performance du manager et sur l’utilisation des nouvelles technologies. Actuellement, dans l’approche scientifique il y a deux grands courants de pensée.
Le premier que l’on appelle trans-humaniste estime que pour faire face aux enjeux tels que celui par exemple d’aller dans l’espace l’homme est sous-équipé et qu’il doit fusionner avec les technologies. Le second courant plus humaniste considère que l’on n’a pas encore développé toutes les potentialités de l’intelligence humaine. C’est dans cette direction concernant le développement du potentiel humain que nous avons travaillé avec les entraîneurs et les managers.
Les études scientifiques qui relèvent de la psychologie positive montrent que l’être humain est équipé d’un potentiel énergétique et de vitalité qui lui permet de se développer et de croître. Mais le problème c’est que dans le monde dans lequel nous vivons cette énergie sert principalement à s’adapter à un environnement de plus en plus agressif. Donc en définitive à survivre. L’espérance de vie d’un coach sur le banc d’un club pro c’est actuellement à peine 12 mois. Avec une pression sociale qui n’a jamais eu d’équivalence. Lorsqu’on apprend que le président de la FIFA intervient comme dernier orateur au G20 et qu’il dispose de deux fois plus de temps pour s’exprimer que les autres grands dirigeants de la planète on mesure l’importance politique du football.
Est-ce que tu peux nous préciser ce que sont les principaux axes de travail du Centre de Recherche et comment ils impactent la formation des entraîneurs ?...
Nous avons identifié 4 leviers d’action qui sont en lien avec les facteurs de vitalité : la qualité du sommeil, celui de l’alimentation, le domaine des relations qui est le premier facteur qui se dégrade au moment d’une contre-performance. Le manque de soutien provoque un risque majeur de burn-out. Nous avons accompagné des entraîneurs qui étaient dans des situations de profonde détresse. Le dernier facteur relève des pratiques personnelles, c’est-à-dire de ce que chacun fait pour continuer à se développer.
Lorsque j’ai rencontré Massimiliano Allegri à la Juventus il m’a dit « quand je suis dans le chaos et que c’est très compliqué je prends mon chien et mes baskets et je vais me promener dans la nature. Cela me permet de me reconnecter à mes intuitions ». Un entraîneur doit prendre de nombreuses décisions chaque jour avec pour certaines un niveau émotionnel élevé.
La dynamique autour de la prise de décision est très éprouvante pour lui et c’est un sujet sur lequel les entraîneurs ont besoin d’être aidé. Un entraîneur a besoin d’être connecté à ses intuitions. Au centre, nous travaillons sur ce sujet méconnu avec une société qui intervient aux USA à la NASA et pour les services de renseignement français et américains.
Avec une autre société, nous travaillons sur la respiration. Là encore il s’agit d’un sujet important qui n’a jamais été vraiment approfondi. Une étude réalisée au moment des Jeux Olympiques de Tokyo montre que 87 % des athlètes japonais avaient une respiration dysfonctionnelle. La respiration est au cœur de la performance. On aborde aussi d’autres sujets tels que la méditation, les pratiques psychocorporelles ou bien encore l’accompagnement en situation de crise.
Quel est le niveau de réceptivité des entraîneurs pro face à de tels apports sachant que culturellement ils ne sont pas en terrain de connaissance ?...
Nous n’avons pas eu de problème avec les coachs mais nous étions aussi très attentifs à la manière de présenter la démarche.
Au démarrage d’une formation, je commence toujours par dire aux coachs qu’ils ont deux grands projets à construire. Et qu’il y en a un qui est plus important que l’autre. Ils ont à construire leur projet de vie et leur projet de jeu. Le projet de vie c’est tout ce sur quoi repose le système de management c’est à dire ce qui va permettre d’activer le projet de jeu. Cette approche génère une grande curiosité sur la manière de développer son projet de vie.
Pour prétendre manager les autres, il faut être capable de se manager soi-même. C’est le point de départ. C’est Carlo Ancellotti qui avait dit à Claude Makekele qui lui demandait conseil « si tu veux devenir entraîneur commence par une thérapie ». Sans faire un travail sur soi-même rien n’est possible. Un entraîneur doit connaître ses forces et faiblesses, ses mécanismes de pensée, identifier ses propres croyances.
Mais la difficulté pour les entraîneurs c’est qu’ils sont confrontés dans l’exercice de leur métier à la pression évoquée précédemment et qu’ils sont dans un environnement qui donne rarement le temps de construire un véritable projet de jeu. ?...
Ce que je peux dire c’est qu’aujourd’hui la prise de conscience est assez globale sur la nécessité de construire son projet. Zinedine Zidane a pris le temps d’apprendre : il a mis trois ans et demi pour s’attaquer au haut niveau. Ce qu’il a compris c’est que sans un système de management efficace, tout serait plus difficile. Il faut notamment avoir autour de soi des gens compatibles qui ont le même socle de valeurs et complémentaires, c’est à dire capables face à une problématique de voir le problème autrement. Le système de management que l’on met en place doit laisser de la place à la confrontation des idées. Zinedine Zidane a trouvé en David Bettoni et quelques autres cette complémentarité qui est indispensable.
Au quotidien, c’est compatible de pouvoir travailler sur soi dans un environnement ou la pression est si forte ?...
Je pense qu’ils n’ont pas le choix. Il faut être costaud de l’intérieur pour pouvoir lutter. ll y a beaucoup de concurrence dans ce milieu qui veut en permanence du renouveau. Ceux qui pensent détenir la vérité sont dans l’illusion. Ce qui fait que tu es performant dans la durée c’est la manière dont tu organises ton système de fonctionnement et le fait évoluer.
Après évidemment ce qui joue c’est ta capacité à convaincre et fédérer autour de soi. Toutefois, le levier de l’adhésion est un sujet que l’on connaît bien maintenant. Il est en lien avec la cohérence de l’information qui circule et l’organisation du système. Quand tu es aligné avec cela, la probabilité de succès s’élève.
Une dernière question concernant l’apport des nouvelles technologies et ce que peut apporter l’intelligence artificielle. Un club comme Toulouse utilise avec un certain succès les datas pour l’aider dans son recrutement. Qu’en est-il des recherches dans ce domaine ?...
Ce que pourra proposer l’intelligence artificielle sera dans l’avenir beaucoup plus important que ce que l’on peut en connaître aujourd’hui.
C’est dans l’immédiat une aide à la prise de décision car elle permet de collecter de l’information et de l’organiser pour lui donner du sens. Elle permet de mieux comprendre les systèmes de jeu, à repérer les récurrences de comportement. Mais cela reste un apport limité car elle n’intègre pas les facteurs de vie.
La vie c’est le mouvement comme aimait à le souligner Coco Suaudeau. Dans la recherche de la performance, l’intuition est un sujet méconnu qui me semble intéressant à étudier. Il y a presque 40 ans de recherche qui n’ont pas été vulgarisé et le monde du football aurait beaucoup à apprendre.