Quelle est votre relation avec le football ?

J’ai toujours été un passionné et quand on nait à Brétigny sur Orge dans un quartier populaire on joue avec ses copains. Des piscines il n’en existe pas. Le foot c’est le sport que tu pratiques au bas de l’immeuble. Par contre, dans les années 80, j’avais la frustration du supporter. A l’époque, Paris SG n’était pas une équipe qu’on supportait. C’est bizarre à dire mais ce club n’avait pas ce côté mythique que l’on connaît aujourd’hui.

Lorsque tu t’intéresses à l’histoire coloniale les premiers héros noirs sont des sportifs. Le football c’est le premier sport où l’émigration apparaît. Dans les années 40 il y a Raoul Diagne qui va avoir le capitanat d’une sélection française sous Vichy. C’est assez incroyable à dire mais ce match n’a jamais été homologué.  Ben Barek marque l’histoire car il est encore aujourd’hui celui qui a la plus grande longévité sous le maillot tricolore (1936 à 1954). Marius Trésor joue aussi un rôle important dans cette valorisation des joueurs de couleur avec son capitanat car il arrive dans une période où le football est plus médiatisé.  C’est la première fois que l’on voit que le chef c’est un noir.

En Afrique est-ce que le football, compte tenu de l’histoire coloniale, renforce l’identité nationale ?

C’est vrai pour l’Afrique mais ce constat se vérifie aussi pour de nombreux pays à partir des années 30. Le football parvient à emblématiser une nation parce que dans une équipe il y a des joueurs qui viennent de partout et l’on peut ainsi avoir une multi-identification. Les gamins qui ne se reconnaissent pas forcément dans les attributs de la nation peuvent le faire avec une équipe nationale de football car celle-ci a son propre récit.

Les grandes compétitions sportives sont pour les petits pays le moyen de rentrer dans le concert des nations. L’année 1964 avec les Jeux Olympiques de Tokyo va être une grande année pour les pays africains. Les Jeux ont une dimension cérémoniale appréciable avec le défilé des athlètes.

Que peut-on dire de l’instrumentalisation du football ?

Le football a été dès le début instrumentalisé par les jeunes nations. Il contribue à renforcer la légitimité du pouvoir.  C’était le cas pour l’Uruguay ou l’Italie dans les années 30. Lorsque le gouvernant fait le choix du sélectionneur la dépendance est clairement identifiable. Aujourd’hui on ne sait plus trop qui instrumentalise qui ? Le football est-il devenu plus puissant que le concert des nations ?...  La FIFA est un organisme qui a ses codes et qui peut s’affranchir du politique. Elle a le pouvoir d’imposer ses propres règles. On peut même se poser la question de savoir si pour une nation il n’est pas actuellement plus important d’être à la FIFA qu’à l’ONU. Cette institution a toujours eu la volonté de faire évoluer les règles pour que le football devienne un spectacle et aujourd’hui on peut dire que c’est l’argent qui est roi.

L’Arabie Saoudite est en train d’investir beaucoup d’argent pour faire venir des grands joueurs. Est-ce que ce pays va être en mesure de concurrencer l’hégémonie de l’Europe ?

Dans le monde arabe on regarde depuis déjà longtemps le championnat anglais. La culture foot existe. Avant on disait que pour aimer il faut aller au stade. Aujourd’hui, les nouvelles générations suivent les matchs sur leurs écrans. Ils connaissent sans doute mieux le championnat anglais que celui de leur propre pays. C’est vrai aussi pour l’Asie et ce phénomène se constate à travers le merchandising.

Le football va se mondialiser aussi à travers les clubs. Auparavant on ne regardait pas la Coupe d’Afrique et encore moins le Moyen Orient. Je pense que le recrutement massif de bons joueurs en Arabie Saoudite va accélérer la création d’une ligue mondiale. Aujourd’hui, le football coûte tellement cher que l’on va assister à une nouvelle phase dans la mondialisation de ce sport. Il y aura 25 à 30 clubs stars sur la planète qui vont accueillir les meilleurs joueurs. Nous verrons l’équipe de Shangai contre Liverpool, Paris face à Ryad ou bien encore Manchester opposé à Melbourne. En France, il y aura peut-être une seconde équipe dans l’élite avec la fusion de Nice et Monaco.

Mais cela veut dire que l’on peut internationaliser le football de haut niveau sans prendre en compte l’histoire ?

Aujourd’hui le personnage clé c’est le coach ou le sélectionneur. C’est lui qui impose son système et le recrutement s’effectue sur cette base. C’est pour cette raison qu’ils sont payés aussi cher. Avant, il fallait attendre que les joueurs arrivent à maturité pour avoir une bonne équipe. Maintenant avec de l’argent tu peux acheter sept joueurs et te faire prêter trois ou quatre autres joueurs. Cela tourne très vite.

La mondialisation concerne aussi le football des nations. La Coupe du Monde 2030 va se disputer sur deux voire trois continents différents. On va s’appuyer sur des endroits où il y a des infrastructures car l’opinion publique ne voudra plus pour des raisons à la fois financières et écologiques que l’organisation d’une grande compétition puisse se faire dans un seul pays.