Quel regard portez-vous sur le football entre les nations ? Est-il concurrent ou complémentaire de celui des clubs ?

Les sélections représentent un monde différent et ce football apporte dans l’offre plus de complémentarité que de concurrence. Dans les années 90, il y avait le risque de voir ce football s’effacer derrière celui des clubs. La Coupe du Monde 98 va faire exploser l’audimat et joue un rôle essentiel en matière d’’attractivité.  Les tournois suivants ont confirmé cette capacité à atteindre un public plus vaste et parfois différent.  Pour ma part, je trouve vital que ces compétitions entre pays existent.

Une Coupe du Monde c’est un ancrage dans le passé, dans les origines du football, où les sélectionnés jouent pour l'honneur de l'équipe nationale et où il n’est pas possible de choisir son équipe. Il y a la situation particulière des binationaux, mais pour l'ensemble des joueurs l'idée c’est de devoir concourir pour son pays, survivance d’un archaïsme, au sens initial du terme, qui vient de cette époque du 19e siècle, quand la nation compte encore pour quelque chose. Le football est capable de répondre à deux demandes contradictoires celle du citoyen et du consommateur. C'est ce qui fait sa force et qui fait de lui le sport planétaire que l'on connaît.

On voit que dans plusieurs pays la dimension nationaliste est mise en avant. Est-ce que dans notre pays le football pourrait être instrumentalisé ?

Je suis convaincu que pour arriver au pouvoir les partis d'extrême droite doivent mettre pas mal d'eau dans leur vin. En France, Les élections se gagnent toujours au centre. Le Rassemblement National a été obligé de sacrifier la sortie de l’euro. C’est pourquoi il prend soin de ne pas se positionner comme xénophobe mais pour une régulation de l'émigration. Je ne vois pas l’équipe nationale être massivement impactée en cas d’élection de ce parti aux présidentielles. Dire qu'il y a trop de noirs ou ce genre de discours c'est trop risqué au niveau de l'opinion publique. Et, s’il y a une trop forte pression politique, la FIFA pourrait imposer des sanctions.

Le football est toujours instrumentalisé et en même temps il ne l’est jamais vraiment.  Il fait ce qu'il veut et n'en fait qu'à sa tête. Et cela le rend très touchant. Il est juste trop populaire pour être totalement mis au pas.

L’Europe est-il toujours le centre de gravité du football ? Va-t-il à terme pouvoir conserver son leadership ?

Je vais vous surprendre, mais je pense que le football va rester pendant un bon moment encore euro-centrique. C’est en Europe qu’on a inventé le jeu et c’est là que veulent être les meilleurs joueurs. On se dit qu’il y a un tel vivier en Chine qu’il va y avoir forcément à un moment donné une explosion de performance. Eh bien j'ai de gros doutes quand ce n’est pas inscrit dans l'ADN d’une société car il n’y a pas la compréhension de l’esthétique de ce sport ni la présence de quelques mythes et légendes. En Chine, il n’y a pas de référence culturelle. La culture du football requiert beaucoup de temps. C’est la même chose au Japon où chez les hommes on constate une stagnation. Ce jeu requiert beaucoup de temps pour produire de la passion et des champions.

Albrecht si je comprends bien vos propos les pétrodollars de l'Arabie saoudite ne représentent pas un réel danger ?

Je pense que le football c'est quelque chose qui est enraciné. L’Arabie saoudite a la capacité de pouvoir attirer une certaine catégorie de joueurs avec des salaires mirobolants et peut-être la perspective d'un style de vie enviable. Avoir une équipe nationale performante c’est plus simple que d'avoir un championnat capable de concurrencer celui du continent européen.

Je me souviens d’un échange que j’ai eu avec Hans-Joachim Watzke, directeur général du Borussia Dortmund depuis 2005. Il me disait que pour attirer des joueurs comme Erling Haaland son principal argument c’était le match du samedi suivant. Lorsqu’on aime le football et que l’on voit l’ambiance dans le stade avec le mur jaune on ne peut pas être insensible. Pour l’instant, en Arabie Saoudite il y a 12 000 spectateurs et pas le même engouement. L'Arabie Saoudite joue au football depuis longtemps mais ce sport n’a pas la même importance dans la société. Nous on a même le luxe de la nostalgie d’un autre football. C’est la passion qui fait la différence.