« Il n’y a pas de grand club sans un grand centre de formation. Et il n’y a pas de grand centre de formation sans grand club. » Ces paroles tenues il y a 2 semaines par le Président du Stade Nantais, Philippe Saulnier avaient déjà raisonnées, il y a plus de 60 ans dans les oreilles de Clerfeuille, Arribas, Suaudeau et consorts,… précurseurs de ce qui allait devenir quelques années plus tard, l’un des hauts lieux de la formation de football en Europe, La Jonelière.

Un demi-siècle plus tard, que reste-t-il de ce centre de formation d’où sortirent tant de grands joueurs ? A quoi sert aujourd'hui un centre de formation comme le FC Nantes ? La faute à qui ?

(Toute ressemblance entre Franck Kita et Waldemar Kita serait complètement fortuite)

1978 : un centre de formation pour alimenter l’équipe première

Nous sommes en 1964- le FC Nantes vient d’accéder à la première division. Clerfeuille et Arribas évoquent déjà le projet d’un centre de formation et sont à la recherche d’un terrain. En 1970, le FC Nantes met en place « un foyer de jeunes » embryon de ce que sera 8 ans plus tard le centre de formation de la Jonelière. Les objectifs du centre de formation sont alors explicites : il doit préparer des joueurs pour l’équipe première du club.

4 titres avec plus de 50% de joueurs formés au club

Celle qui sera championne de France en 1983 est composée de plus de 80% de joueurs formés au club, celle de 1995 de 50%. Et celle de 2001, de 75%. L’équipe de France championne du monde en 1998 compte 3 joueurs formés à Nantes (Deschamps, Desailly et Karembeu). Des statistiques éloquentes pour un travail d’éducation et de formation qui commence à la base. «Tous les mercredis soir, Coco réunissait tous les entraineurs des poussins à l’équipe réserve » témoigne Jean-René Toumelin. « Du plus petit aux pro, on les faisait jouer tous de la même façon », confirme Jean-Claude Suaudeau. Un travail qui demande du temps. « Six, sept ans minimum, une dizaine d’années pour bien faire »*1 confirme Christophe Lollichon, entraineur des gardiens de Nantes avant de partir à Rennes et Chelsea. « Et c’est ce lien, cette logique de jeu et de philosophie qui était enseignée durant sept, neuf, dix ans et qui allait être demandé dans l’équipe première, qui créait les conditions de la réussite » poursuit JR Toumelin.

Les clubs formateurs pillés par les clubs riches

A partir des années 80, la compétition financière et les surenchères entre clubs s’accroissent. Les clubs les plus riches pillent les plus pauvres. Les clubs formateurs (Nantes, Auxerre, Sochaux…) souffrent, obligés de vendre précocement des joueurs tout juste formés. « C’est l’une des raisons pour laquelle Coco (Suaudeau) a arrêté. Il n’en pouvait plus de voir le fruit d’années de travail et de formation partir happés par des clubs (Notamment Marseille) » se souvient JR Toumelin. La mauvaise gestion financière des clubs n’arrange rien. On vend pour combler les dettes. Mais le pire est à venir.

Des entraineurs formateurs aux entraineurs pompiers

Quatre entraineurs en 40 ans puis la rupture. « Le FC Nantes tel que je l’ai connu, est mort en 2001 avec le limogeage de Raynald Denoueix »*1 explique Christian Gourcuff en 2010 déjà approché par Kita. « Quand on tourne le dos à des valeurs et à une philosophie, il y a forcément des conséquences catastrophiques" . Raynald Denoueix limogé, c’est le cordon ombilical entre la formation et les pros qui est rompu. Nantes ne s’en remettra pas. Après 40 ans de stabilité   et de cohérence entre l’équipe première et le centre de formation (Les 2 années de Miroslav Blazevic ne sont pas prises en compte ), le FC Nantes consumera de 2001 à 2021, vingt-trois entraineurs.  La rupture entre les éducateurs du centre de formation et l’entraineur pro est consommée. Stéphane Ziani, champion de France avec les Jaunes en 2001, livre en 2020 dans Ouest-France et sans langue de bois, son sentiment sur la formation et milite pour un rapprochement « sincère » entre les pros et le centre. Une relation qui reste très perfectible à ses yeux. Le réchauffement climatique est passé par là. L’institution nantaise brûle de mille feux. Les « entraineurs pompiers » venus éteindre un incendie « Kitanesque » ne pourront rien y faire. « La durée des coaches est devenue trop courte pour espérer voir émerger une autre forme de jeu à la nantaise et il était illusoire de penser développer cette sensibilité sur quelques mois avec des joueurs qui n’ont pas été formés pour cela. »*1 dira Christian Gourcuff en janvier 2019, pressentant bien avant l’heure que son destin ressemblerait à celui de ses prédécesseurs.

Acheter des joueurs plutôt que de faire jouer les jeunes : la bonne blague belge

Arribas l’avait dénoncé très tôt, en 1979 dans France Football :  « Je m’insurge contre ces clubs qui se renforcent avec quatre ou cinq joueurs à coups de millions. (…) Un entraineur, c’est celui qui ne pense pas seulement au résultat d ‘aujourd’hui, mais aussi à celui de demain. Son travail, c’est une oeuvre de longue haleine. » Avec le départ de Denoueix, les coachs appelés par Kita pour sauver la baraque n’ont pas le choix, ni le temps de mettre en place cette « oeuvre de longue haleine ». De Loïc Amisse à Christian Gourcuff, en passant par Michel Der Zakarian, Vahid Halilhodzic et Bruno Baronchelli -pour ne citer que les entraineurs porteurs de la culture nantaise- la durée de vie et la qualité des coachs nantais ne survit pas à l’inculture létale d’un propriétaire qui préfère s’en remettre davantage à son acheteur belge qu’au travail de ses jeunes et bons techniciens du centre de formation.

Le centre de formation n’alimente plus l’équipe professionnelle

La saison 2021-21 ne fait que commencer. En ce dimanche 29 août, la composition du onze de départ nantais aligné face à l’Olympique Lyonnais, ne compte aucun joueur formé au club. Seul Randal Kolo Muani, petite perle du centre de formation est rentré en cours de jeu. Arrivé à 17 ans à Nantes, le jeune Randal n’a finalement pas été vendu au terme du Mercato pour renflouer la caisse, comme l’avait pourtant envisagé, résigné, quelques jours auparavant son coach Antoine Kombouaré. Pour autant, désormais libre, RKM ne devrait pas survivre au FC Nantes au-delà du 31 décembre 2021. Comme tant d’autres avant lui, et comme tant d’autres après lui. Le rapport 2020-2021 de la FFF sur la formation ne dit pas le contraire. Le FC Nantes arrive 12e au classement avec seulement 2 étoiles et demie sur les 5 possibles sur le critère «  du temps de jeu en équipe première en 2020-2021 des joueurs formés au centre. Randal Kolo Muani, Imran Louza, et Aboulaye Touré ne survivront pas à l’année 2021. Les comptes sont au rouge. Les fruits du centre de formation sont vendus avant d’être mûrs.

Certaines choses ne s’achètent pas, mais se comprennent d’abord, comme l’explique dans un entretien à lire absolument, Pep Segura, ancien manager du FC Barcelone et directeur technique de l’Académie du Liverpool Football Club de 2009 à 2012. Et comme le disait également JC Suaudeau dans la bouche de son Président Jean-René Toumelin à l’occasion de l’assemblée générale du FCNA le 1er juillet 1995 : « Si tout le monde restait l’année prochaine (…) ce serait la 1re fois que je pourrai prolonger l’idée que l’on peut se faire de la valeur d’un groupe  dans la durée. (…) Si on veut aller au bout, il faut rester ensemble. Car à Nantes, c’est plus qu’un principe, c’est une manière de penser le jeu (…). Cette année, les réflexes de l’équipe se sont accélérés. Et je sais qu’on gagnera encore l’année prochaine. »

https://nosotrosxp.com/entretien-avec-pep-segura/