“La presse s’est déjà fait l’écho d’un certain nombre de rumeurs et la situation est malheureusement urgente”. C’est là le contenu d’un mail où la Ligue appelait son Conseil d’administration à tenir, mercredi après-midi, une réunion concernant les droits télés. Qu’est-ce que ça signifie ? Que le foot professionnel français est en danger ? Oui, peut-être, mais enfin n’exagérons rien.
Cela veut surtout dire que les pontes de la Ligue, Vincent Labrune en tête, commencent à s’inquiéter pour le maintien de leurs salaires tout à fait indécents et sans rapport évident avec leurs compétences.
Car enfin qui a envoyé les clubs dans le mur si ce ne sont, eux, ces présidents qui veulent toujours plus d’argent, tout de suite, afin d’en profiter au plus vite, sans jamais se soucier de l’avenir, sans surtout prendre le soin de réfléchir, exercice qui risquerait de faire mal à leurs grosses têtes ? Grosses, oui, car généralement nous n’avons pas affaire à des gens modestes mais, hélas, ou heureusement, la taille du cerveau ne correspond pas forcément à celle du tour de front.
Une belle histoire d’intérêts communs
Plutôt que se lancer dans des batailles de chiffres dont le montant, la plupart du temps, nous dépassent totalement, nous pauvres amateurs de foot, ou sont si élevés qu’ils ne veulent plus rien dire, on va effectuer un rapide résumé des événements.
Il était donc une fois une chaîne de télé, Canal Plus, qui avait envie de retransmettre des matches de foot car l’un de ses dirigeants, Charles Biétry (tiens en voilà un qui n’était pas bête), pensait que le sport en général et le foot en particulier, étaient susceptibles de faire de l’audience et même de la doper.
Ce fut le départ d’une belle histoire d’intérêts communs entre une Ligue qui ne croulait pas encore sous les millions et une chaîne qui avait le mérite de respecter non seulement ses partenaires, mais aussi les acteurs et ses spectateurs. Avec Biétry, le spectacle avait priorité, c’en était terminé, et c’était heureux, de l’époque où Thierry Roland ou l’un de ses collègues champions de l’improvisation et de l’amateurisme, héritait de l’antenne alors que le match était entamé depuis plusieurs minutes, ce retard étant ‘’expliqué’’ par la diffusion d’un message publicitaire ou la ‘’richesse’’ de l’information du fameux journal de 20 heures.
On parlait de moins en moins foot et de plus en plus argent
Canal Plus était une chaîne cryptée, certes, et il s‘agissait d’un handicap pour le football par rapport aux chaînes grand public mais il était largement compensé par la qualité des retransmissions, tant en ce qui concerne les commentaires que les apports techniques. En outre, Canal Plus eut bientôt un nombre si respectable d’abonnés que le désavantage d’être une chaîne cryptée s’estompa progressivement.
Le système perdura de longues années, à chaque renouvellement du contrat, la Ligue accroissait sensiblement ses tarifs, Canal Plus faisait mine de grincer des dents puis finissait par payer. Tout allait bien.
Mais à la Ligue comme à la tête des clubs on parlait de moins en moins football et de plus en plus argent. Et du côté des télés, la concurrence s’était instaurée, Biétry y ayant d’ailleurs contribué en emmenant ses recettes de Canal à BeIN. Le championnat de France où les présidents (et les entraîneurs et les joueurs, il faut l’admettre, avec leurs fumeux “l’important c’est les 3 points”) se souciaient si peu de la qualité du spectacle n’était plus seuls sur le marché : il y avait aussi la Premier League (les Manchester, Liverpool, Arsenal), La Liga (Les Madrid, le Barça), la Bundesliga (le Bayern), la Ligue des Champions qui, elle aussi, a été appelée à faire bande à part.
C’était ‘’le contrat du siècle’’
Alors la tête de tout le monde tourna. D’abord celle des présidents de clubs et des dirigeants de la Ligue (pour eux, une chaîne ne pouvait plus exister sans foot). Mais celles aussi des propriétaires de télés qui poussaient comme des champignons une année de Tchernobyl (pour eux acheter du foot garantissait des abonnés).
Un affairiste venu d’Espagne, pas très en cour dans son pays et qui s’était déjà fait relooker en Italie, fut accueilli à bras ouverts à la Ligue. Ce fut l’affaire Médiapro. La Ligue vendit très cher ses droits à une chaîne qui n’existait pas encore. C’était fort, d‘ailleurs le directeur général de la Ligue s’autorisa à s’auto-octroyer une prime mirifique sous prétexte que c’était lui qui avait déniché ce contrat en or. Il n’avait fait que son travail puisqu’il était déjà royalement payé pour cela mais enfin, ces présidents assommés par tous ces billets de banque qui ruisselaient sur eux, n’allaient pas chipoter pour 500.000 euros, lesquels allaient à peine lui permettre d’améliorer son ordinaire.
Sa proposition de s’attribuer ce petit en-cas fut donc approuvé avec enthousiasme puisque c’était promis, juré, c’était évident, une grande ère de prospérité arrivait. Il allait suffire de se baisser pour ramasser des chèques dont il ne resterait plus qu’à inscrire le montant. En millions ou en milliards, on ne savait plus. Ces présidents (là encore il convient ‘’d’admirer’’ leur perspicacité) commençaient même à contacter les agents de joueurs et à signer des contrats en fonction des recettes à venir. En matière de transferts, on n’est jamais trop prévoyant, argumentaient-ils. Ben voyons : payer un joueur le double de sa valeur réelle, c’est s’assurer qu’il ne sera pas recruté ailleurs, non ? Aulas et quelques autres étaient aux anges, c’était le contrat du siècle !
Aucune leçon n’a été retenue
Mais combien de téléspectateurs allaient pouvoir suivre les matches ? Mais combien d’argent les cochons de payants d’abonnés allaient-ils devoir débourser pour suivre la Ligue 1 car, naturellement, les autres compétitions étaient diffusées sur d’autres chaînes ? Mais le football, réduit à un nombre restreint de téléspectateurs, n’allait-il pas souffrir, à terme, de ne plus être popularisé auprès du plus grand nombre ?
Ces questions, franchement, les propriétaires des chaînes et même ceux, malheureusement, des clubs de foot, s’en moquaient éperdument. L’odeur de l’or les aveuglait. Ils sont tombés de haut. Mediapro a fermé ses portes. Le directeur de la Ligue qui avait négocié avec lui, dans un sursaut de dignité, a même rendu sa prime.
Mais aucune leçon n’a été retenue. Ce qu’il faut, c’est de l’argent, de l’argent, de l’argent, politique accélérée par Vincent Labrune qui a pris possession de la Ligue en parvenant, et c’est encore vraiment très fort en glissant dans son contrat une clause stipulant le montant astronomique de son indemnité en cas de départ.
Vous avez dit conflits d’intérêts ! C’est quoi, ça ?
Là encore, personne n’y a trouvé à redire tant sa haute compétence est évidente. Du moins pour ses amis présidents. Lesquels trouvent, il est vrai, tout à fait normal la présence au sein du conseil d’administration chargé de s’occuper de la gestion des droits télés du président d’un club qui est aussi étroitement liée avec une chaîne de télé. Lesquels n’ont pas vu d’objections, non plus, à qu’une société, appelée CVC, à laquelle ils ont lié une part de leurs revenus, ait aussi à voir avec le leader de la Ligue.
Conflits d’intérêts dans un cas comme dans l’autre ? Voici bien un terme dont les présidents de clubs feignent de n’avoir aucune idée de ce qu’il signifie. Pareillement, ils ont été surpris par le fait qu’à Canal Plus où, là aussi, beaucoup de choses et d’hommes ont changé, pas a priori pour le meilleur, on ait un peu de mémoire et qu’on ait voulu leur rappeler, en n’acceptant pas leurs exigences, qu’ils étaient les premiers responsables du divorce survenu lorsque la princesse Médiapro était entrée dans le bal avec sa robe fort alléchante bien que pas du tout transparente.
Ils sont donc repartis avec une nouvelle chaîne, DAZN, comme avec Médiapro. La diffusion ? Le montant des abonnements pour les fans de foot ? La qualité du spectacle ? qu’est-ce que c’est que ces préoccupations pour ces dirigeants de tous bords habitués à jongler avec les millions ?
Laurent Nicollin assurait, il y a quelques semaines, qu’à un supporteur qui critiquait le football français il avait conseillé de s’abonner afin de contribuer à le rendre plus ‘’compétitif’’. Il se disait fier de cette réponse. Mais il montrait ainsi la voie à l’un de ses joueurs qui, apostrophé par un supporteur lui reprochant son manque d’implication lui a répondu : “Je n’en a rien à faire. Moi je gagne 200.000 euros par mois” (ou 300.000, on ne sait plus, mais ce serait, divisé par 10, encore trop vu sa mentalité et ses talents). On pourrait poser une question subsidiaire : certes, les Nicollin ont les moyens et un abonnement pour Laurent l’héritier équivaut sans doute à un tout petit grain de riz dans un océan de dollars mais paie-t-il lui-même son abonnement. Ne lui est-il pas offert par DAZN ou par son club ?
Après eux, le déluge
Avec tout ça, il est sans doute plus que temps de revenir à notre point de départ. Il y a urgence pour la Ligue et les clubs de toucher les droits télés qui, ils le savent maintenant, sont loin du milliard annoncé par Labrune. Urgence aussi pour DAZN à multiplier son nombre d’abonnés. Son PDG avait prévu un objectif de 1,5 millions en 6 mois, lesquels se sont écoulés et la chaîne avoue n’en totaliser que 500.000, ce qui signifie sans doute qu’elle en compte moins. (L'Équipe avait écrit en octobre qu’ils étaient près de 500.000, d’autres informations parlaient de 100.000).
Ils ne pensent qu’à eux, qu’à leurs revenus, qu’à leur train de vie. Ils ne pensent naturellement pas qu’il y a surtout urgence pour le foot français à retrouver une vraie place sur une télé faisant de l’audience. Sinon, il souffrira. Mais après eux, n’est-ce pas : le déluge ! Au prochain chèque de DAZN, c’est champagne ! Pourvu qu’il y en ait un…. Mourir de soif, ce serait trop bête.