© Crédit photo : H. Cayeux

A Nantes, nous connaissons bien l'entraîneur Jean Vincent, puisqu’il a dirigé les Canaris pendant six ans. Peux-tu nous parler du joueur Jean Vincent ?

Jean Vincent appartient à la légende du football français puisqu’il est dans l’équipe de France junior qui décroche en 1949 le premier titre français toutes catégories. Considéré comme le meilleur ailier gauche européen de sa génération, c’était en fait un droitier qui jouait des deux pieds, technique et capable de fulgurantes accélérations. Sans doute le footballeur le plus complet de sa génération car il pouvait s’exprimer à tous les postes, même dans celui de gardien de but puisque à l’époque les remplacements étaient interdits. Il a fait le bonheur du meilleur club d’après-guerre à savoir le LOSC puis celui du prestigieux Stade de Reims. Titulaire indiscutable pendant plus d’une décennie en équipe de France, il a vécu en 1958 avec Kopa, Fontaine et Piantoni la formidable épopée en Coupe du Monde.

"Jean Vincent était solaire, extraverti et d’une grande générosité"

Sa carrière d'entraîneur, avant son arrivée à Nantes, est assez méconnue également...

Jean Vincent n’a jamais envisagé un autre avenir que celui d’être coach. Dans les années 60, il fallait faire ses classes dans les rangs amateurs pendant trois saisons avant de prétendre entraîner au niveau professionnel. C’est ce qu’il a fait au Stade Malherbe de Caen (NDLR : alors en CFA) puis il part en Suisse à la Chaux-de-Fonds. Il prend ensuite les rênes du Sporting Club de Bastia pour maintenir le club en Division 1. Son passage de quatre saisons au FC Lorient de 1972 à 1976 (NDLR : en deuxième division) reste un moment fondateur dans sa carrière car ce club dispose de faibles moyens et qu’il échoue de très peu à deux reprises à l’accession au plus haut niveau.

Son arrivée à Nantes en 1976 a été une surprise, car la succession de José Arribas était promise à Jean-Claude Suaudeau. Quels étaient les rapports entre les deux hommes ?

Jean ne pouvait que comprendre la frustration de Coco qui fidèle parmi les fidèles a été pendant toute sa vie l’homme d’un seul club. Humainement, il n’y avait aucun problème entre eux. Il était impossible de ne pas s’entendre relationnellement avec Jean Vincent qui était solaire, extraverti et d’une grande générosité. Le différend portait sur la vision du jeu et sans doute aussi sur la conception du métier de coach. Toutefois, ils ont eu l’intelligence de gérer leurs différends pour ne pas perturber les joueurs et ils se sont enrichis mutuellement au contact de l’autre.

Sa première décision avait été d’écarter quelques sénateurs comme Triantafilos et Gadocha pour imposer les jeunes Pécout, Amisse, Baronchelli… Avait-il le soutien du club dans ces décisions ?

Le président Louis Fonteneau avait un principe : ne pas faire d’ingérence dans le domaine technique. Le principe du coach était de titulariser les meilleurs à l’entraînement. L’émulation jouait à plein et il ne valait mieux pas s’économiser durant la semaine. Éric Pécout reconnaissait que son adversaire le plus coriace était son partenaire Patrice Rio. Laisser sur la touche les plus gros salaires ne pouvait satisfaire les dirigeants, ni Budzynski, mais les résultats plaidaient pour un tel choix. Dans l’histoire du club, aucun entraîneur n’aura fait jouer autant de jeunes que Jean Vincent. C’était sa marque de fabrique.

"Son leadership n’a jamais été remis en cause"

Parmi les difficultés à gérer, il y avait la concurrence entre Éric Pécout et Victor Trossero, qui a un peu pourri le vestiaire. Quelle était la part de Jean Vincent dans le recrutement ?

Le recrutement était le domaine réservé du directeur sportif Robert Budzynski. Les différents entraîneurs exprimaient des demandes en termes de profil mais ils n’avaient pas vraiment voix au chapitre. Dans l’esprit de Jean, pas de performance sans concurrence. Éric était pour lui le meilleur avant-centre français de l’époque mais il avait besoin de stimulation et de confiance pour s’exprimer pleinement. La présence de Victor Trossero l’a piqué au vif pour le meilleur profit de l’équipe.

En certaines occasions, la direction du club a demandé à Suaudeau de seconder Jean Vincent. Quelle était la part de chacun dans le management de l’équipe lors de ces moments ? N’y avait-il pas le risque de déstabiliser l'entraîneur principal ?

En deux occasions en effet, la direction a fait ce choix. La première fois après la défaite à domicile contre Benfica en Coupe d’Europe, en septembre 1978. Cela a sans doute été plus dur à vivre pour Coco Suaudeau que pour Jean Vincent car pour lui, toute menace était une occasion de progresser. Son leadership n’a jamais été remis en cause et le rapprochement n’a duré que quelques matchs. La seconde fois intervient la dernière année, en 1982. Il comprend alors que la confiance est entamée et que Suaudeau ne souhaite plus collaborer. Il va, avec une certaine élégance, faire le choix de laisser la place quatre mois avant la fin de saison.

Avec Nantes, il n’a jamais terminé un saison au-delà de la deuxième place. Il a en outre conduit le club à sa première victoire en Coupe de France. Curieusement, on minimise son apport au club par rapport aux figures que sont Arribas, Suaudeau et Denoueix. Pour quelle raison selon toi ?

Son palmarès au club est extraordinaire mais il est clair qu’il ne faisait pas partie du sérail. Suaudeau (40 ans au club) et Denoueix (35 saisons) n’ont connu qu’un seul club et ils sont les héritiers naturels de José Arribas. Ce que n’était pas le cas de Jean Vincent qui n’a été que le successeur et qui avait d’autres références notamment dans le domaine de l’engagement et de l’efficacité. Il n’était pas dans l’orthodoxie du Jeu à la Nantaise et à chaque moment difficile certains n’hésitaient pas à le lui rappeler.

"Ce n’est pas l’argent qui a été son moteur mais le goût du challenge"

A peine a-t-il quitté Nantes qu’on le retrouve à la tête de l’équipe du Cameroun à la Coupe du monde 1982. Comment s’est passé ce “transfert” ?

L’opportunité d’être sélectionneur après avoir été joueur et entraîneur est une expérience qu’il rêvait de vivre. Participer à cette compétition avec le Cameroun, une gourmandise qu’il a savourée avec délectation même si la pression politique était forte car le gouvernement avait peur de vivre la même humiliation que le Zaïre quatre ans plus tôt (14 buts encaissés en trois matchs). Il a fait preuve d’une grande capacité d’adaptation et va devenir un héros national. Aucune défaite dans une poule très relevée où l’Italie future championne du monde ne se qualifie que par un seul petit but d’écart.

Il rejoint ensuite le Stade Rennais, qu’il va faire remonter en première division après six ans de purgatoire. Après Lorient et Nantes, avait-il une attirance particulière pour la Bretagne ?

Jean aimait beaucoup la Bretagne où il avait de nombreux amis. Il fait d’ailleurs assez rapidement le choix de vivre sa retraite dans l’Ouest, à Saint-Brevin-les-Pins. Le Stade Rennais était dans une situation financière compliquée. Là encore ce n’est pas l’argent qui a été son moteur mais le goût du challenge. Il va réussir à faire remonter le club en première division après un magnifique parcours et attirer l’intérêt du PSG qui veut le faire signer. Jean a toujours respecté son contrat et il refuse une proposition très alléchante comme il l’a fait à un autre moment concernant une sollicitation de l’Arabie Saoudite. Son moteur était la passion, pas l’argent.

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Daniel Ollivier "Jean Vincent, la passion du football" (éditions Eric Jamet)

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Au WAC Casablanca, qu’il rejoint en 1985, il semble reproduire ce qu’il a fait au FC Nantes, avec une intégration massive de jeunes joueurs et un titre national dès sa première saison.

C’est un homme de défi et le WAC se doit de retrouver son rang.  L’équipe est renouvelée aux deux tiers et les jeunes pousses du club vont faire des étincelles. Jean va prendre beaucoup de plaisir à coacher cette équipe et il gardera de nombreux amis dans ce pays très accueillant. Il ne se sentait pas la force de rempiler car son investissement avait été total et qu’il n’aurait pas été en mesure de faire plus ou mieux.

Sa carrière s’est terminée en Tunisie, à la tête d’une sélection nationale dont il ne parvient pas à redresser les résultats…

Jean Vincent était un peu superstitieux et il a cru sans doute à l’adage selon lequel jamais deux sans trois. Il s’est retrouvé dans une situation ubuesque en matière d’organisation. Il avait tellement envie d’apporter son expérience que cet échec a eu pour effet de stopper net sa carrière et de prendre de la distance avec le monde du football.

Il lui reste toutefois sa dernière œuvre, les “stages Jean Vincent”.

Jean n’était pas à l’iniative de ce beau projet dont le succès ne se dément pas depuis quatre décennies..Il s’est investi avec l’envie de transmettre aux plus jeunes sa  passion pour le football. Un engagement bénévole à l’image d’une vie où jamais l’argent n’a été sa motivation.

  • "Jean Vincent, la passion du football" de Daniel Ollivier (Eric Jamet éditeur / Editions du Borrego). Sortie le 5 octobre 2023.