Pourquoi avoir fait le choix de ce titre « Libre » pour votre ouvrage paru chez Solar Editions ?
J’ai fait ce métier d’entraîneur avec mes valeurs, sans être dans l’obligation de renier mes convictions que ce soit en matière de management ou dans le recrutement. Je n’ai pas fait de concessions et je considère que c’est un privilège quand je vois comment cela se passe aujourd’hui. Pour moi, ce qui est important c’est d’être soi-même et de se respecter.
Dans cette longue période, vous avez été entraîneur de plusieurs clubs. Qu’est-ce qu’il y a le plus évolué au fil du temps dans ce métier ?
En fait, il ne ressort pas un changement particulier à mettre en évidence, parce que tout se fait de manière progressive. Tous les acteurs évoluent qu’ils soient supporters, membres du staff, médias, joueurs et l’entraîneur doit être capable d’anticiper et de s’adapter. Aujourd’hui, les médias et les agents de joueurs sont parties prenantes. Si un entraîneur n’est pas capable de suivre l’évolution du football sans se renier, il est préférable qu’il ne fasse pas ce métier. C’est un métier où il faut être constamment en éveil.
Aujourd’hui, est-ce que dans cet environnement qui est sans cesse plus contraignant il est possible de se préserver de la pression exercée par les médias, les dirigeants et les supporters ?
Cela dépend de la manière dont on se comporte. Si la philosophie de l’entraîneur c’est d’être perméable à toutes les sollicitations, notamment aujourd’hui avec l’avènement des réseaux sociaux il perd vite de vue l’essentiel. L’essentiel, c’est le terrain et la relations avec les joueurs. Il faut se protéger et protéger son équipe. Si on commence à faire des concessions, on est plus soi-même et on perd sa capacité d’analyse. Il faut savoir s’extraire de l’agitation qui peut y avoir au sein d’un club et autour de celui-ci. Être libre, c’est aussi ne pas dépendre de cette pression quotidienne et perdre de vue l’intérêt du club.
Dans votre conception on voit qu’il y a toujours la volonté de préserver l’intérêt du club avec une préoccupation pour le moyen terme ?
Je ne me voyais mal adopter la politique de la terre brûlée en pensant "après moi le déluge". J’ai utilisé les moyens que l’on a mis à ma disposition en ayant à l’esprit les conséquences pour le club et les joueurs. Lorsque je suis arrivé au LOSC j’ai été impliqué dans des réunions de directoire et, petit à petit, je me suis intéressé à toutes les composantes d’un club et aux attentes de chacun. La dimension sportive mais aussi à l’équilibre financier. Cela permet de mieux savoir ce que l’on peut faire et ne pas faire. J’aime laisser une situation saine après mon départ à la fois sur le plan sportif et financier que pour ce qui relève des structures. Cette situation a joué parfois à mon détriment parce que les médias ne comprenaient pas que que mon analyse à un moment donné allait au-delà des 3 points gagnés ou perdus. Au même titre, que je ne peux pas me résoudre d'avoir comme seul objectif le maintien. Cela peut être un moyen mais aucun cas une finalité !!!
Entre le président, le Directeur Général, le directeur sportif et l’entraîneur c’est difficile de trouver le bon équilibre. Comment faut-il procéder pour que chacun trouve sa place ?
C’est une bonne question. En Angleterre, j’ai vécu le fait que le manque de cohérence globale de la structure avait un impact direct sur mon management. J’ai refusé notamment d’intégrer des joueurs qui étaient recrutés sans mon accord car ils ne correspondaient pas au profil dont j’avais besoin.
La cohérence consiste à se poser deux questions : quel est le style de jeu que l’on veut pratiquer ?... Et avec quels joueurs ?... Tout le reste découle ensuite de ce point de départ. Au moment de choisir un entraîneur, dans combien de clubs on voit les dirigeants sortir une liste proposant des profils différents.
Certains entraîneurs veulent la possession du ballon, d’autres privilégient le pressing. Certains autres préconisent un bloc bas, d’autres encore préfèrent le jeu direct. Quand j’ai vu Christian Gourcuff venir à Nantes je me suis posé la question de savoir comment il allait pratiquer le football qui aime... avec l’effectif mis à sa disposition.
En fait, le recrutement de l’entraîneur doit se faire en fonction du projet de jeu. Celui-ci doit être un choix qui s’inscrit dans le temps car derrière il faut les joueurs qui correspondent à une telle approche. Je trouve dommageable que l’on ne raisonne pas de cette manière-là.
Qui doit être le chef d’orchestre ?
Cela peut être le directeur du football en Angleterre et le directif sportif en France. Il faut que les choses soient très claires dès le début et que tout le monde l’accepte. Dans ce cas-là, l’entraîneur arrive dans un cadre bien défini et son recrutement s’explique parce qu’il est en totale adéquation avec la philosophie du jeu.
Est-ce que l’on peut dire que les clubs ont une identité de jeu ?...
Des clubs tels que Nantes, Marseille ou Nice pour ne citer que ceux-là ont une identité de jeu qu’il est important de respecter. En matière de cohérence, il y a même toujours un danger à ne pas le faire. C'est malheureusement ce que l'on constate trop souvent. L’identité de jeu est aussi un moyen d’éviter la standardisation d’un football qui se pratique avec des joueurs interchangeables d'un club à l'autre.
Dans votre carrière, est-ce qu’il y un souvenir qui surpasse tous les autres en intensité ?...
Il y en a eu beaucoup parce que je me suis souvent mis dans la situation du "petit qui part à la chasse au gros". J’adore renverser la table et être dans la situation d'obtenir des performances sans disposer pour autant de moyens considérables. C’est pour moi la récompense du travail fourni que d’aller battre des grosses équipes. À Lille avec une équipe qui jouait le maintien nous avons été capables avec des jeunes joueurs pendant deux saisons de jouer la Champion League. Pour cela, il faut avoir de la résilience et de la persévérance.
Votre dernière expérience de coach à Saint-Étienne a été compliquée car vous n’avez pas été en mesure de garder l’effectif puis de poursuivre l'aventure avec les jeunes du club ?...
L’urgence était d’éviter le dépôt de bilan et la vente pour 80 millions à éviter le pire. Ensuite la croyance qui consiste à penser qu’en Ligue 2, il faut des joueurs physiques et expérimentés relève d’une mauvaise analyse. C’est le jeu qui permet de monter. Auxerre est monté en première division sans avoir une équipe de déménageurs. Toulouse et Troyes sont des équipes qui jouaient au ballon. C’est absurde de croire que c’est la puissance physique qui fait gagner. C’est toujours les joueurs et le jeu qui font la différence.
Vous êtes prêt à revivre une nouvelle aventure sur le banc ?...
Je suis passionné et j’ai refusé pas mal de sollicitations parce qu’elles ne me correspondaient pas. Je suis ouvert aux propositions mais c’est vrai que je ne veux pas retrouver une équipe à n’importe quelles conditions. Pour réussir, Il faut pouvoir s'inscrire dans un projet.