En quelques mots, pourrais-tu retracer l’histoire de la Brigade Loire ?

Disons qu’à l’époque, quand on est arrivés (en 1999), la Tribune Loire était plutôt amorphe, avec des anciens groupes dont certains membres étaient encore présents, mais il ne se passait plus grand chose. Et donc, assez naturellement, quelques personnes se sont mis en tête de créer un groupe ultra, quelque chose de complètement nouveau dans le paysage de la Tribune Loire, avec une tendance un peu plus italienne je dirais, par rapport à ce qu’il se faisait jusque-là. Les groupes qui existaient avant, comme les Young Boys ou les Urban avaient plus une tendance anglaise du supportérisme. C’est vrai que ça a été un peu détonant au départ, parce que les gens n’étaient pas spécialement prêts à voir ce genre de groupe arriver dans le paysage. Ça n’a pas été un début d’histoire tranquille…

 

Vous avez donc dû faire votre place, il a fallu vous imposer…

Ce n’est même pas le mot. On existait, on n’était pas tout à fait bien acceptés, et il a fallu se rendre crédible au fil des années. Ça a mis beaucoup de temps à se mettre en place. Dans la tribune, il y avait des gens qui sortaient de la Coupe du Monde 98, d’une tendance très… particulière, on va dire ça comme ça ! Et puis des supporters qui faisaient plus partie des mouvances dont on parlait juste avant, type Young Boys. Ils regardaient ça d’un certain œil… « qu’ils essaient les petits jeunes, et on verra bien ce que ça donnera ». Mais ce n’était pas du tout ce que les gens se font comme idée aujourd’hui. On n’est pas arrivés naturellement à cette situation où la Brigade Loire est moteur de la tribune. On démarre très différemment de ça.

 

Combien de temps il vous a fallu pour véritablement vous installer dans la tribune ?

Comme ça, je pense qu’avant 2003 on ne peut pas considérer être moteur de la Tribune Loire. Par contre, avant, on grandissait, on est présents dans tous les stades. On fait nos tifos, nos animations… on le fait aussi au Stade de France pour les finales de coupe. Mais je pense qu’on est devenu un moteur - à proprement parler - à partir de 2003-2004.

 

Quelle est la raison d’être, les objectifs de la Brigade Loire ?

Je reviens sur les adages qui ont été écrits à l’époque par les fondateurs du groupe, mais c’est la défense des intérêts du club, des joueurs et de nos couleurs. On se fixe comme ligne de conduite de faciliter et de soutenir les gens qui vont dans le sens du club. Et de s’opposer à ceux qui, justement, font l’inverse. Et ça, c’est très important. La Brigade Loire n’est pas un groupe contestataire en soit, ce n’est pas sa raison d’être. Son objectif est de soutenir l’équipe, mais surtout les intérêts du club. Et à partir de là décline la suite. C’est à dire que quand les gens respectent l’institution, ses valeurs, et font le bien pour le club, ils sont soutenus. Et quand c’est l’inverse, on en devient des détracteurs…

 

Justement, de quelle manière abordez-vous, analysez-vous ce qu’il se passe au FC Nantes ?

On a plusieurs facettes. D’abord il y a tout le côté visible, c’est à dire le sportif. Et puis il y a le reste, l’administratif… On pourrait se dire que les supporters se fichent de ça mais non, parce que de la direction et de l’administratif découlent l’état d’esprit, le côté familial du club. On porte aussi un grand intérêt à tout ce qui concerne la formation, parce que c’est l’ADN du FC Nantes. Et puis il y a toute la partie liberté individuelle et défense des droits des supporters. Lorsque nous sommes limités en nombre de places en parcages, et que le club ne fait absolument rien pour qu’il en soit autrement… pour ne pas dire plus. C’est à dire qu’il y a eu des fois où ils ont fait ce qu’il fallait pour que l’on soit le moins possible. Et quand je dis ça, je ne parle pas que des déplacements de la Brigade Loire. On a toujours agi en défendant les supporters nantais au sens large. On a même régulièrement refusé d’aller en déplacement parce que l’on nous proposait qu’il n’y ai que nous. On est dans une logique où le supporter n’est pas un consommateur, n’est pas un pion… c’est un membre de l’environnement du club, et de l’institution. Et à travers le supportérisme en général, est préservée l’institution. Donc tu ne peux pas considérer normal d’avoir tes supporters interdits de déplacement, sans faire ce qu’il faut pour qu’ils puissent être présents.

 

Pour ceux qui ne connaissent pas ou de loin le mouvement, qu’est-ce qu’un groupe ultra, et quelles sont les spécificités de la Brigade Loire ?

Un groupe ultra, c’est un groupe de supporters - effectivement - avec un côté fanatique. Le mot ultra fait bien référence au côté extrême des choses. Les membres de ce groupe sont présents à tous les matchs, extérieur comme domicile, et pour certains aux stages et autres matchs amicaux. Mais c’est avant tout un groupe indépendant. Vis à vis du club, des instances, de tout le monde. C’est un sujet hyper important pour nous, dans un mouvement ultra, on veut être en capacité de juger la situation sans avoir de filtres, de pressions diverses et variées liées aux intérêts de certains. L’indépendance évite qu’il y ai des interférences. Cela nous permet d’être dans une logique la plus objective possible par rapport aux situations.

L’autre sujet lié à l’indépendance, c’est le fait que l’on s’autofinance. On n’a pas de subvention, de quiconque. On a une logique d’animation des tribunes qui est autant vocale que visuelle - par des tifos, des étendards, des drapeaux… Mais évidemment, il nous faut récolter des fonds pour produire tous ces éléments. Les gens ne se rendent pas toujours compte mais ça coûte très cher. C’est selon moi les points importants, avec effectivement, une animation qui tourne autour de l’histoire du club, de son patrimoine, mais aussi autour de la fierté d’appartenance à la région. Un groupe ultra c’est aussi un groupe très soudé, avec une solidarité entre les membres assez forte, pour ne pas dire extrême. On se reconnaît entre groupes d’une tendance identique, c’est à dire de loyauté, d’humilité. On sait aussi reconnaître des gens qui ont dérivé du mouvement ultra vers d’autres cieux, que l’on ne considère pas de la même manière.

C’est vrai que c’est un peu particulier pour les gens qui sont à l’extérieur, parce qu’on ne comprend pas toujours ces notions d’indépendances notamment. La BL n’a jamais touché un centime du club, n’a jamais bénéficié de matériel venant du FC Nantes ou de la mairie.

 

Plus généralement, en France, quelle est la place donnée aux groupes ultras dans la vie des clubs ?

En France, elle est proche du néant. C’est ce qui crée toutes ces tensions. Il y a une forte disparité entre ce que souhaitent faire les dirigeants des clubs français et ce que veulent les supporters. C’est compliqué de faire des généralités, mais là en l’occurrence il y a énormément de dirigeants de clubs qui sont dans une logique d’intérêts personnels avant tout. En face ils se retrouvent avec des gens qui sont fanatiques, désintéressés à titre personnel, et surtout passionnés. Donc le discours n’est pas du tout le même. Il y a une incompréhension très forte, ce qui fait qu’il n’y a pas de place pour les ultras. À l’inverse, je pense que le mouvement ultra n’a aucune envie de discuter avec des gens dont le seul objectif est court-termiste, personnel et financier. Donc effectivement, la rupture est forte.

 

Et donc à Nantes, comment est-ce que vous décrieriez les relations que vous avez pu avoir avec la direction depuis 13 ans ?

Inexistantes. Il n’y a pas d’autre mots. (Silence…).

Des rares rencontres qu’il y a pu y avoir, il se dégage du mépris. Avec Waldemar Kita, au départ il y a le côté séduction, qui est très rapidement remplacé par le mépris. Et Franck c’est le mépris absolu. Donc effectivement, comme on a analysé la situation dès le début, on s’est très vite rendu compte que l’on avait à faire à quelqu’un qui allait faire les mêmes choses qu’à Lausanne. On s’y est donc opposés très rapidement. Et à partir de là, les relations étaient inexistantes, téléguidées par des bras droits à la limite de la légalité.

 

Concrètement, aujourd’hui, les revendications de la Brigade Loire vis à vis de ce qu’il se passe au FC Nantes, c’est quoi ?

Le départ de la famille Kita. Et la vente du club à des repreneurs vertueux, et respectueux des valeurs du FC Nantes. Qu’ils puissent acheter le club au bon prix, pas à un prix délirant. Et qui soient en capacité de recréer ce qu’est le FC Nantes, c’est à dire remettre en place ses valeurs au sein du club, à tous les niveaux. Un vrai partage, une vraie gestion du collectif, sur l’ensemble du club et de son environnement. Il faut reprendre tout depuis la base.

 

Est-ce que ça existe encore des repreneurs vertueux dans le foot-business d’aujourd’hui ?

Je vais poser la question dans l’autre sens. Est-ce que la situation actuelle peut encore continuer dans le foot français ? On est en train de vivre un virage, de gros changements, et ces gros changements vont être obligatoires, poussés par la situation qui a été créée par le foot-business lui-même. On le voit avec les droits TV qui ne pouvaient que monter… on en a vu le résultat : un dialogue entre direction et supporters qui ne pouvait plus avoir lieu car les intérêts n’étaient pas concordants. De fait, on va vivre un gros virage, avec de gros changements, qui feront que les profils des repreneurs ne seront plus obligatoirement basés autour des intérêts personnels, et surtout du résultat financier unique. On n’est pas complètement en dehors d’une logique de l’économie, car on est tous plus ou moins dans l’économie quand on est ultras. On est salariés, chefs d’entreprise et autre. Toutefois, notre éthique fait qu’on est en capacité, quand on est le premier environnement d’un club sur des dizaines et des dizaines d’années, d’exiger autre chose que des décisions qui tournent autour du résultat immédiat et financier avant tout. Les politiques qui sont menées par des personnes dont le seul intérêt est de faire remonter des dividendes à la fin de l’exercice ne peuvent pas être les mêmes que celles menées par des gens sur du long terme car ils se voient présents à la tête d’un club sur les vingt prochaines années.

Et donc, je suis persuadé que l’on va vivre ce gros virage. Je ne parle pas que de Nantes, mais du foot en général en France. La rupture est très forte avec la base des supporters, mais aussi avec une grosse partie des recettes des clubs. Ces gens-là vont avoir d’autres centres d’intérêts en se rendant compte que finalement ils n’ont pas atteint leurs objectifs. Les places vacantes laisseront la place à certains qui eux pour le coup, attendent que la bulle éclate pour s’installer.

                 

Le mouvement de contestation n’est pas nouveau, de votre côté il dure depuis de nombreuses années. Il a pris de l’ampleur ces derniers temps, quel regard vous portez là-dessus ?

D’abord je pense qu’on a une façon de faire, qui date depuis l’arrivée de Kita, qui est d’analyser la situation avant de se positionner, contrairement à ce que disent certains. Si je prends l’exemple du Yellow Park, l’annonce a été faite fin septembre, la BL s’est positionnée officiellement mi-décembre. On n’est pas dans une action-réaction. Ce n’est pas vrai. On analyse toujours les situations, on les décortique. C’est vrai que très tôt on a sorti des banderoles pour dénoncer ce que l’on pensait et que l’on imaginait être de véritables fossoyeurs du club. Les décisions prises les unes après les autres nous l’ont prouvé. Le côté « laissez-leur le bénéfice du doute », ça effectivement on ne sait pas le faire. Parce que, quand en face de vous, vous avez des gens qui vous donnent des leçons sur un club qu’ils découvrent alors que nous on le vit (j’ai envie de dire de l’intérieur, parce que malgré ce que disent certains, on ne vient pas que le samedi soir voir le match) ... on ne peut pas accepter que ces gens se permettent cela alors qu’ils ne connaissent rien aux valeurs du FCN, à sa logique, à la manière dont il a construit son histoire. L’identité et l’ADN du club, ça ne se décrète pas en débarquant du jour au lendemain. Et pourtant, c’est dès le départ ce qu’a voulu faire Waldemar Kita. 

Très vite, on a alerté. Très vite, on a été marginalisés parce que la meilleure défense qu’ils pouvaient avoir, c’était de dire que l’on était 50, 100 ou 200. On n’était jamais qu’une minorité. Et puis effectivement, à force d’être les lanceurs d’alertes, on a été rejoints par un certain nombre de personnes, des supporters classiques jusqu’aux politiques en passant par les partenaires… les gens ont chacun leur seuil de tolérance. Et à force de dénoncer les décisions ubuesques et dramatique pour le club, le pallier de chacun a été atteint, et les troupes se sont gonflées. Aujourd’hui, on peut constater qu’il n’y a plus de défenseur des Kita. Je n’en trouve plus, il n’y en a plus. Tout ça c’est parce que chacun vit le club à sa manière. Certains comme une deuxième famille, d’autres comme un spectacle auquel ils assistent tous les week-ends, et ceux qui ne viennent que tous les six mois. Mais par exemple, pour un partenaire dont l’image est directement liée au club, et qu’à chaque fois que ses clients viennent ils lui parlent des faits divers du FC Nantes, je pense qu’une fois ça va, à la quinzième fois le seuil de tolérance est forcément atteint.

 

On voit des anciens joueurs s’exprimer, les médias en rajouter depuis quelques temps, ça fait un peu tard mais pensez-vous que ça donne de la force au mouvement ?

En fait, ce qui a donné de la force au mouvement, c’est les propres décisions des Kita. Première grosse alerte dans les médias - en dehors des alertes habituelles qui reprenaient une grande partie de nos revendications - le jour où Pascal Praud a pris son téléphone et a passé un coup de fil à un quotidien pour s’insurger d’un article, cumulé à des menaces qui ont été faites à un des auteurs de l’article. Ça a fait basculer la presse régionale et nationale sur le sujet. Et ça, c’est un bon retour de boomerang de ce qu’ont fait Kita et son entourage. Ensuite, l’idée de mettre un pare-feu qui s’appelle Domenech histoire d’étouffer les faits divers qui entourent ton nom - notamment via Médiapart début décembre - mais on te le retourne en mode Kita Cirus. Et là le pare-feu qui était au moins européen se retourne en boomerang international. À chaque fois qu’il a essayé quelque chose, il se l’est repris en retour, de manière décuplée. Et ça c’est parce que depuis tant d’année les gens voyaient ce qui était dit, mais essayaient de se convaincre de l’inverse. Sauf que là, les gens n’acceptent plus, parce que le bénéfice du doute est passé.

 

Le contexte actuel de huis clos pèse beaucoup, comment se serait traduit le mouvement avec des tribunes pleines ?

(Rires…). Il y aurait eu une réaction collective. Et on ne peut pas la prévoir. Il est évident que la situation aurait été très compliquée pour eux. Elle l'est déjà aujourd’hui, mais ça aurait été encore pire. C’est évident. Je ne sais pas comment cela se serait passé, je ne suis pas devin, mais ce qui est sûr, c’est que le collectif ne se serait pas limité à un rassemblement de 400 personnes.