Votre arrivée au club en 1962 a été assez rocambolesque. Vous pouvez nous retracer cette signature obtenue, in extremis, par le FC Nantes ?...

En effet, à 19 ans j’étais sollicité par de nombreux clubs. J’avais fini major au stage organisé à Pâques par le FC Nantes. Le Racing Club de Paris m’a invité à un essai et fait une proposition de contrat que j’ai finalement refusée car c’était trop loin de chez moi. Au Croisic, mon entraîneur était en relation avec le Stade Rennais. L’idée de signer dans ce club breton qui jouait en première division m’intéressait beaucoup. Le jeu pratiqué par Jean Prouff son entraîneur donnait envie. De plus, mon frère travaillait à Rennes dans une boucherie donc tout indiquait que j’allais signer à Rennes puisque le club était d’accord pour me recruter. C’est alors que José Arribas est intervenu dans la négociation. Il est venu chez mes parents et a fait preuve d’une grande persuasion puisque c’est finalement au FC Nantes que j’ai signé mon contrat de stagiaire. Les dirigeants rennais sont arrivés le lendemain mais c’était trop tard.     

Est-ce que pour vous l’intégration a été facile à Nantes ?...

Personnellement, je n’ai pas rencontré de problème particulier. En matière d’hébergement, j’habitais chez Madame Fredi à proximité du Parc de Procé. On logeait les uns à côté des autres. Les repas étaient pris en commun. J’ai intégré dans un premier temps l’équipe réserve de Guelso Zaetta mais assez rapidement j’ai eu l’opportunité de jouer en équipe première. L’adaptation au club a été facile.

Lors de votre arrivée, comment était José Arribas avec le jeune joueur que vous étiez à l’époque ?...

José Arribas était accueillant et pédagogue. C’est quelqu’un qui a vécu une jeunesse difficile et cela transparaissait dans sa manière d’être avec les joueurs. Il était bienveillant et savait être à l’écoute. Sa communication était collective mais il prenait toujours le temps d’expliquer individuellement après l’entraînement ce que nous n’avions pas bien fait. Entre nous, la confiance était réciproque. Aujourd’hui, franchement je n’ai que des bons souvenirs concernant les douze années vécues à ses côtés.

Qu’est-ce qui vous reste en mémoire de sa méthode de travail ?...

Sur quatre jours on travaillait deux jours avec le ballon et deux jours sans. Une journée par semaine était consacrée à la préparation physique. Le principe de base, c’était de se déplacer sans arrêt. José ne supportait pas que l’on s’arrête. Il fallait toujours que l’on soit en mouvement. Dans les duels nous devions être capable, sans le ballon, de nous démarquer pour créer l’espace. J’avoue que l’entraînement sans ballon n’avait rien d’évident pour moi. La récompense, c’était de retrouver le ballon. La vitesse dans le jeu à travers la vivacité. On travaillait les une deux sans contrôle. Ces séances étaient programmées, en fin de semaine, juste avant le match. Nous avions aussi, selon les postes, à faire des activités spécifiques : le travail devant les buts pour les attaquants ; les défenseurs, eux, travaillaient les coups de pieds arrêtés. La marque de fabrique de José Arribas : c’était le jeu sans ballon.

Votre jeu était assez atypique au regard de celui pratiqué par d’autres équipes. Comment expliquer que vous étiez finalement les seuls à le pratiquer ?...

Le jeu sans ballon cela peut paraître évident mais c’est difficile à mettre à place. Courir pour rien ce n’est pas facile à accepter. Dans un premier temps, il faut apprendre à gérer sa frustration car souvent en faisant un appel on se retrouve à courir dans le vide. À Nantes, pour avoir le ballon il fallait se déplacer sans cesse. Mais lorsque vous êtes en situation de le recevoir, c’est souvent dans les meilleures conditions. Le jeu sans ballon c’est tout un apprentissage : il faut savoir créer les espaces, croiser les courses.

Aujourd’hui, dans le football actuel, je constate que beaucoup de joueurs jouent arrêtés. Les attaquants sont souvent dos au but… ce qui est beaucoup plus compliqué pour marquer que d’être face à celui-ci. Jouer simple, cela s’apprend !!!

Comment José Arribas est-il parvenu, dans le jeu, à créer cette complicité ?... 

Il y a plusieurs raisons à cela. En premier lieu, il faut rappeler que pour les joueurs de ma génération le contrat à temps est apparu seulement en 1969. Lorsqu’un joueur signait un contrat, il était lié au club jusqu’à l’âge de 35 ans mais il pouvait aussi, à tout moment, être transféré sans avoir son mot à dire. Fidèle, José Arribas aimait conserver ses joueurs.  Au sein du FC Nantes, il y avait finalement peu de départs d’une année sur l’autre. La conséquence c’est que nous nous connaissions tous très bien et qu’il y avait entre nous une bonne ambiance.

Une autre explication repose sur le fait que José Arribas était fidèle à ses principes de jeu et à son organisation.  Cela permettait à chacun d’entre nous d’avoir des repères précis sur la manière de jouer collectivement. Jouer pour les autres n’est pas une démarche naturelle et José Arribas était très exigeant sur le respect des principes. Par exemple, un joueur qui ne courait pas pour les autres sortait du terrain. José n’avait pas besoin de hausser la voix ou de commenter sa décision. Il restait calme et maître de lui.

Avec le recul, quel est le meilleur et le plus mauvais souvenir de votre carrière au FC Nantes ?...

Pour moi, le meilleur souvenir c’est en 1963 la montée en première division qui coïncide aussi avec ma première saison en professionnel. C’était un moment très fort comme l’ont été ensuite les titres de Champion.

La déception la plus forte : les échecs à répétition en finale de la Coupe de France. Contre Strasbourg, je pense que nous avions un peu trop confiance dans notre capacité à l’emporter. Pour les deux autres finales, nous nous sommes mis une pression excessive. Il y avait aussi cette volonté de rester fidèle à notre manière de jouer au football. Sur un match, en fin de saison notre valeur technique n’était sans doute pas suffisante pour compenser l’engagement physique imposé par nos adversaires.

Dans ce domaine de l’engagement, vous étiez souvent une cible pour les équipes adverses ?...

C’est vrai que nous n’étions pas ménagés. Personnellement, je n’ai pas eu de blessures graves lors de ma carrière. J’ai juste eu le regret de ne pas avoir participé à la Coupe du Monde de 1966 pour une blessure intervenue juste une semaine avant la compétition.

Le plus souvent, c’était des entorses mais à l’époque nous étions remis sur pied une semaine plus tard. J’étais souple pour ma part et je voyais venir les tacles. Face à une charge, je me laisser volontiers tomber et je récupérais des coups francs. À l’inverse, Philippe Gondet appréciait aller au contact et les défenseurs connaissaient son tempérament et ne lui faisaient aucun cadeau.

En coupe d’Europe, dans le domaine de l’engagement je me souviens du match face au Celtic de Glasgow. Ce soir-là, on s’était fait bousculer physiquement. Ils voulaient vraiment nous foutre la trouille et nous n’étions pas habitués à une telle intensité dans l’affrontement. L’ambiance dans le stade était extraordinaire. C’était quelque chose de complétement nouveau pour nous.

La Coupe d’Europe, cela ne fait pas partie des grandes réussites ?...

On joue à chaque fois des gros clients avec le Partizan de Belgrade et le Celtic de Glasglow. Pas vraiment aidé par le tirage au sort. Ces clubs avaient une expérience du haut niveau européen que nous n’avions pas. D’ailleurs, le Celtic gagne en 1967 la Coupe d’Europe contre l’Inter de Milan. Avec le recul, ces matchs restent, pour moi, de très bons souvenirs.


 

Crédit photo : Le Télégramme