Dix ans, bientôt onze, sont passés mais le souvenir du fabuleux France-Belgique du 16 juin 1984 reste bien encore présent dans les mémoires. Le stade de la Beaujoire n’a plus accueilli l’équipe de France depuis cette après-midi ensoleillée ponctuée par un 5-0 légendaire. Il faut dire que l’équipe de France sort rarement de son Parc des Princes.
Voir les Bleus en espérant un peu de jaune
Toutefois, après le fiasco du France-Bulgarie de novembre 1993, Aimé Jacquet, le nouveau sélectionneur, a décidé de jouer plus de rencontres en province, et pas seulement les matchs amicaux. L’équipe de France est l’équipe de toute la France, et pas seulement de Paris. C’est ainsi qu’après France-Roumanie à Saint-Etienne, c’est à Nantes que les Tricolores disputent un match éliminatoire de l’Euro 1996. Le 26 avril 1995, l’adversaire désigné est la Slovaquie.
L’équipe de France débarque alors dans la Cité des Ducs et c’est dans le vieux Marcel-Saupin, pas encore réaménagé, que les joueurs vont s’entraîner : “P***, se serait exclamé le sélectionneur, qu’est-ce que je m’en suis pris, des volées, ici…”. Le vieux stade affiche complet lorsque l'entraînement des Bleus est ouvert au public. Le lendemain, pour l'entraînement à huis-clos, le sélectionneur accepte toutefois la visite de Jean-Claude Suaudeau et Georges Eo. "On sent que cette équipe a envie de réaliser quelque chose, déclare l'entraîneur nantais. En foot, avoir faim est le plus important.". Le capitaine du FC Nantes Jean-Michel Ferri, bien qu'il ne soit pas sélectionné, est également allé saluer les Bleus.
.jpg)
Le soir du match, vingt-six mille spectateurs ont pris place dans les tribunes du stade Louis-Fonteneau. Ils sont venus voir les Bleus, mais la plupart espèrent secrètement y voir une poignée de Jaunes. Aimé Jacquet a convoqué quatre joueurs du FCN : Christian Karembeu, Patrice Loko, Nicolas Ouédec et Reynald Pedros. Mais lorsque la presse dévoile la composition du onze de départ, les supporters sont un peu déçus de ne voir que le seul Loko parmi les titulaires.
Le FC Nantes, cette saison-là, domine le championnat de France comme rarement une équipe l’a fait auparavant. Dix jours avant France-Slovaquie, les hommes de Jean-Claude Suaudeau ont concédé leur première défaite de la saison en championnat, après trente-deux rencontres d’invincibilité. Cet accroc alsacien ne remet aucunement en cause le titre de champion qu’ils vont décrocher un mois plus tard, après un match nul à Bastia.
Les Nantais à l'échauffement
Les hymnes nationaux sont joués par les musiciens du 9e RCS de la caserne Mellinet alors que les joueurs français écoutent La Marseillaise main dans la main. L’heure est à l’union sacrée et à la cohésion du groupe, durement mise à l’épreuve par les récents résultats (une victoire en Azerbaïdjan et quatre 0-0 lors des cinq derniers matchs).
C’est la première rencontre de l’équipe de France où le jeune Bordelais Zinédine Zidane, troisième sélection, est titulaire. Ce match fête également le retour de Deschamps après une blessure au talon qui l’a éloigné des terrains pendant trois mois. L’ancien Nantais, désormais à la Juventus, hérite du brassard de capitaine laissé vacant par Eric Cantona, suspendu depuis son kung-fu kick à Selhurst Park.
Les Français dominent largement la rencontre. Ils ouvrent le score par un malheureux joueur slovaque qui marque contre son camp. Juste avant la mi-temps, à la réception d’un centre de Di Meco, David Ginola double la mise d’une superbe reprise de la tête et fait taire les derniers sifflets qui résonnaient encore dans les tribunes. En seconde période, Laurent Blanc puis Vincent Guérin, d’une belle reprise de volée, portent le score à 4-0 à l’heure de jeu.
Sur le bord du terrain, Karembeu, Ouédec et Pedros s'échauffent aux côtés de Djorkaeff. Le public les réclame, mais le sélectionneur ne fera entrer que le Monégasque, à la place de Zidane. Tout juste si le joueur entrant ne recueille les sifflets destinés au sélectionneur. La déception des supporters nantais est atténuée par l'excellent match auquel ils viennent d'assister, sans imaginer que la réussite des Bleus, ce soir-là, va anéantir le rêve de voir une Coupe du monde 1998 teintée de jaune et vert.
Le cœur net
L’irruption de la génération nantaise de 1995, effective depuis deux saisons, a bousculé les certitudes du football français. Gérard Houllier le premier avait intégré au sein de la sélection, Christian Karembeu puis Patrice Loko et Reynald Pedros. Aimé Jacquet a pris le relais, poursuivant le jaunissement de l’équipe de France avec Jean-Michel Ferri et Nicolas Ouédec.
Au début de l’exercice 1994-1995, le FCN se lance dans une saison extraordinaire alors que l’équipe de France tâtonne encore. La presse somme le sélectionneur d’intégrer des joueurs nantais dans son équipe, mais également le jeu qu'ils pratiquent en club. Jacquet veut alors en avoir le cœur net. A l’occasion du France-Roumanie du 8 octobre 1994 à Saint-Etienne, il aligne le trio d'attaque Pedros-Ouédec-Loko et ajoute Christian Karembeu au milieu de terrain aux côtés de Marcel Desailly, ancien nantais désormais star de l’AC Milan. Il est probable que si Japhet N’Doram avait été sélectionnable, Aimé Jacquet l’aurait appelé. Au lieu de quoi, c’est Eric Cantona, brassard au bras, qui mène le jeu.

La rencontre est passionnante. L’équipe de France domine copieusement la Roumanie et les attaquants nantais se procurent les plus belles occasions. Mais rien ne rentre. Le match se termine sur un frustrant 0-0. En fin de rencontre, le sélectionneur a procédé à deux changements : Zidane à la place de Ouédec, et Dugarry à la place de Loko. On aurait dû y voir un signe.
Le sélectionneur n’abandonne toutefois pas l’idée de nantiser, voire de suaudiser son équipe de France. Il rappelle ses Nantais un mois plus tard en Pologne, mais une malédiction s’abat sur eux : Loko est forfait, Pedros se blesse et doit sortir après vingt-cinq minutes de jeu, Karembeu est expulsé en début de deuxième mi-temps pour accumulation de cartons jaunes, et Ouédec passe à travers, cédant sa place à Dugarry dans le dernier quart d’heure.
Lors du match suivant, à Trabzon face au faible Azerbaïdjan, l’attaque nantaise aurait pu être reconduite, mais Jacquet préfère aligner l’expérimenté Jean-Pierre Papin plutôt que Ouédec aux côtés de Pedros et Loko. JPP ouvre le score imité en deuxième période par Loko. Un troisième Nantais entre en jeu, Jean-Michel Ferri, numériquement appelé pour pallier la suspension de Karembeu.
La greffe n'a pas pris
En janvier 1995, à Utrecht, quatre Nantais sont aligné dans le onze de départ face aux Pays-Bas : Karembeu défenseur latéral, Ferri au milieu, puis Pedros et Loko en attaque, aux côtés de Papin. Le seul but du match est inscrit par Loko. Papin, dont c’est le dernier match en Bleu (mais on ne le sait pas encore) est remplacé dans les vingt dernières minutes par Ouédec, ce qui permet de reconstruire le trio offensif nantais. Celui-ci est reconduit un mois plus tard à Tel-Aviv, avec l’Auxerrois Corentin Martins aux manettes. La rencontre se termine par un nouveau 0-0 et le sélectionneur considère que l’expérience ne vaut pas le coup d’être poursuivie.
Et c’est paradoxalement à Nantes qui décide de changer ses plans. Exit le Jeu à la Nantaise et place à l’opération ZZ. Celle-ci est ponctuée par ce 4-0 retentissant contre la Slovaquie. La saison suivante, Jacquet n’abandonne pas les joueurs nantais mais ne s’intéresse plus à leurs automatismes, d’autant que deux d’entre eux, Karembeu et Loko, sont partis voir ailleurs.
Le titre de champion de France de 1995 aurait pu être un tremplin pour la Coupe du monde 1998. On ne trouvera que le seul Karembeu parmi les champions du monde. Loko, Pedros et Ouédec auront perdu leurs places en cours de route, victimes d'une sévère concurrence et des aléas de leurs carrières en club.
Du même auteur, sur le site Chroniques Bleues
- Lire l'article "Pourquoi Nantes 1995 n’est-il pas devenu France 1998 ?" (23/04/2025)
- Lire l'article "26 avril 1995 : Echec aux Slovaques" (25/04/2025)