Episode I : Les premiers pas
Eté en pagaille
L’été 1997 est donc particulièrement chaotique chez les Jaunes et Verts, alors que le club est pourtant bien installé dans le cercle des grandes maisons du football français. Les années 90, bien que mal parties (difficultés financières, relégation administrative) se sont transformées en âge d’or du football nantais, avec des saisons en tête de tableau, des matches mémorables, quelques rares fautes de parcours (la défaite en finale de coupe de France en 1993 ou en coupe UEFA contre Leverkusen en 1995) qui ont cependant apporté de la motivation en retour. Sans compter sur une liste de joueurs iconiques, dont on peine à désigner le premier. Faites votre choix parmi les Loko, Karembeu, Makélélé, N’Doram, Pedros, Ouédec, Ferri, Casagrande, Marraud, Le Dizet, Decroix et tant d’autres. Et après une saison 1994-95 avec une seule défaite, un titre et un jeu fabuleux illustré par l’un des plus beaux buts de l’histoire du football français, une saison 1995-96 avec une demi-finale de Champion’s League, et une saison 1996-97 marquée par la remontée fantastique et ces 30 matches d’affilée sans défaite, le FC Nantes est craint par tous.
Alors que devrait craindre ce jeune entraineur, qui n’est néanmoins pas un jeune de la maison ? Le souci c’est que cette galaxie de stars est belle et bien partie, pour la plupart. Et que les jeunes pousses dont il dispose ne sont pas encore prêtes à exprimer un jeu à la nantaise aussi léché que celui voulu de Suaudeau. Le souci, c’est aussi que les supporters vont attendre cette nouvelle génération au tournant, et que son nouvel entraineur va souffrir de la comparaison avec son prédécesseur.
Le bon choix d’entraineur ?
Raynald devra donc faire avec ce qu’on lui donne. Mais il ne part pas les mains vides. Déjà, présentons l’homme : fidèle de la maison jaune, Monsieur Denoueix nait à Rouen en 1948 - où il frappe ses premières balles - puis au JS Arpajon, avant d’intégrer le FC Nantes en 1966, alors que les Jaunes et Verts gagnent le titre une seconde année de suite. Posté en défense, le jeune homme va se faire remarquer et jouera son premier match professionnel en 1968. Alors, certes, il va mettre quelques années à éclore, ne jouant que très peu et ne participant qu’à 7 rencontres l’année du titre de 1973. Mais il sera bien présent pour celui de 1977 et terminera sa carrière de footballeur au club deux ans plus tard. Rapidement, il va se mettre dans le circuit de la Jonelière et prendre la direction du prestigieux centre de formation dès 1982. Il verra les progressions et les recrutements de ceux qui seront les champions de l’ère Suaudeau.
Par conséquent, il est difficile de se dire que le club a fait un mauvais choix, au contraire : à part éventuellement George Eo, éternel adjoint de Coco, prendre Denoueix semblait plutôt tomber sous le sens, car le jeu made in Nantes, il est tout simplement tombé dedans quand il était petit ! A côté de ça, le personnage sait se rendre attachant, il se veut humble, sérieux, travailleur et, à une époque où on se permettait le luxe de ne surtout pas en douter, totalement dévoué à la cause nantaise. Calme, laissant parfois une image d’une personne fermée (il n’en n’est rien), le nouvel entraineur nantais saura montrer sa lucidité dans les moments difficiles.
Quelles forces ?
Mais avec qui va-t-il se lancer dans les joutes de la Division 1 ? C’est vrai que l’effectif, à une semaine du début du championnat, n’est pas aussi envoutant que les saisons précédentes. Devant, on a fait le pari du jeune Samba N’Diaye, mais on manque clairement de force de frappe malgré d’autres petits nouveaux comme le Camerounais Patrick Suffo, Alioune Touré, Adel Sellimi, ou encore Gaetano Giallanza, David Andreani, et Franck Renou. La charge de cette attaque ? Faire oublier le recrutement désastreux de l’argentin Javier Mazzoni, critiqué par les supporters. Au milieu, on respire un peu plus le vécu professionnel avec Christophe Le Roux, et surtout Jean-Michel Ferri qui prendra le rôle de grand capitaine. A cela s’ajoutent Jocelyn Gourvennec, et deux hommes qui ont fait leurs preuves la saison précédente : Nicolas Savinaud et Frédéric Da Rocha. Enfin, Olivier Monterrubio et Eric Carrière, vont eux aussi tenter de s’imposer dans l’effectif. Pour le reste, les petits Sébastien Piocelle et Salomon Olembe viennent garnir les rangs. C’est finalement bien derrière que Denoueix va pouvoir compter sur un peu plus d’expérience avec Laurent Guyot, Jean-Marc Chanelet et surtout Eric Decroix et Serge Le Dizet. Mais Stéphane Lièvre reste un recrutement léger et le petit Nicolas Gillet est encore un inconnu.
Denoueix va surtout pouvoir préparer l’avenir avec un tel groupe. Certes, l’effectif est très (trop) léger pour espérer quoi que ce soit pour la saison, et encore plus dans ces circonstances. Mais il dispose d’une immense marge de progression, dans l’esprit de la maison Nantes, à l’image de son gardien qui va devenir l’icône de toute une ville, et qui sort déjà d’une immense saison : Mickaël Landreau.
Un début poussif
Autant vous le dire tout de suite, la mayonnaise ne va pas prendre : défaites face à Bastia, Marseille et Auxerre et une belle 17e place pour commencer l’aventure. Et n’oublions pas l’essentiel : les buts. Ils sont, après 270 minutes de jeux, au nombre de zéro. Pour l’instant, Denoueix mise sur Da Rocha, Savinaud ou N’Diaye qui prend la pointe, seul. Et c’est bien le Sénégalais qui finit par trouver une faille en glissant astucieusement sa jambe entre celles de son adversaire pour pousser la gonfle dans les filets, à la 4e journée, suivi par Carotti pour la première victoire de l’ère Denoueix face à Strasbourg. 2 à 1, Ouf ! S’en suit une seconde avec un départ en trombe : 2-0 après 17min face au Havre. Et puis la vache maigre revient : 6 matchs sans victoire et seulement deux petits buts.
Et l’Europe ? Ah mais oui, c’est vrai ! Nantes, 3e du dernier championnat, avait manqué de peu son billet pour la Champion’s League (ndlr : à l’époque, seul le champion était qualifié, et le second passait au tour préliminaire) mais avait eu sa place pour la coupe UEFA, la C3. Eh bien là aussi, les yeux des supporters nantais ne vont pas être particulièrement éblouis. Nantes va péniblement jouer et tomber face aux danois d’Aarhus (2-2 / 0-1) une ligne supplémentaire dans la longue, très longue liste des éliminations de clubs français par d’autres clubs dont on ignorait l’existence – et il y en aura d’autres.
Dans l’ensemble, ce début inquiète vraiment, les Nantais ne se déplacent pas en masse dans le stade, et bien que certains jeunes comme Da Rocha ou Savinaud prennent leurs responsabilités, Landreau est bien trop sollicité et l’équipe manque surtout d’une vraie force offensive.
Eviter la zone rouge
Une petite éclaircie va permettre aux Nantais de souffler un peu : victoire contre Lyon, nul contre Bordeaux, nouvelle victoire contre Châteauroux, puis une défaite les armes à la main face au champion Monaco. Encore une fois, Da Rocha se met en valeur et devient finalement, plus que N’Diaye, cet atout offensif si nécessaire. Nantes se dresse, péniblement, à la 12e place à 6 mois de France 98. Mais rien ne laisse montrer des signes d’amélioration, des erreurs défensives coûtent cher, et devant, la précision manque cruellement. Denoueix essaie d’inciter ses joueurs à aller de l’avant, à respecter le principe de jeu nantais, mais la défense nantaise manque souvent de stabilité, et l’attaque ne sait pas trouver son champion.
Particularité d’une saison de coupe du monde et d’une première division à 18 équipes, mais véritable aubaine pour une équipe nantaise qui suffoque et fonctionne au coup d’éclat, il ne va rester que 10 rencontres à jouer à partir de janvier. Les Coupe de France et Coupe de la ligue ont été rapidement sacrifiées dès le début de l’année : défaite à Montpelier dès le 5 janvier pour la Coupe de la ligue, défaite contre Caen le mois suivant pour la Coupe de France. Il va donc falloir assurer l’essentiel, c’est-à-dire le maintien.
Celui-ci va s’obtenir par un bon momentum obtenu au moment opportun : 4 victoires et 1 nul en 7 matchs, et au mois d’avril, les Canaris sont hors de danger. Improvisé meneur du groupe, c’est Jocelyn Gourvennec qui prend le relais de Da Rocha pour ce qui est de marquer les buts, notamment ce penalty capital à la 87e minute inscrit contre le Paris-Saint-Germain. Le reste de la saison sera anecdotique au possible, et surtout oubliable. Nantes est désormais tournée vers le mondial et à ses affiches de prestige. La Beaujoire accueillera le Brésil de Ronaldo, la Croatie de Suker, l’Espagne de Zubizaretta, le Nigéria d’Okocha, et le Danemark de Laudrup dans un quart de finale de coupe du monde d’anthologie face aux Brésiliens qui feront rejaunir le stade.
Une transition réussie ?
Demandez à n’importe quel supporter nantais de l’époque, il vous dira que cette saison était une purge, qu’il y avait peu à voir et pas plus à conserver. La peur avait rapidement gagné les rangs des spectateurs et la direction n’entendait surtout pas faire de folies financières. L’attaque fut famélique, la défense a assuré l’essentiel.
Pourtant, Raynald Denoueix a réussi un premier pari : il a repris le groupe de Coco Suaudeau en pleine tempête, garanti le maintien du club avec difficulté, mais néanmoins plusieurs journées avant la fin de la saison. Sans être vraiment en danger, Nantes s’est mollement stabilisé dans le ventre mou, sans jamais réellement décrocher, ni espérer en décoller, mais avec un entraineur désigné en toute hâte pour sa première année, cela reste notable.
Donc oui, on peut parler de pari réussi pour celui qui n’est pas encore considéré à sa juste valeur, car il a bel et bien réussi à maintenir le bateau à flot. On ne le sait pas encore alors, mais Raynald Denoueix a montré qu’il pouvait prendre le relais des légendes, avec un effectif limité. Et surtout, le Rouannais d’origine a certes manqué de fond de jeu, mais il a eu le temps de tester et mettre sur le terrain ceux qui vont composer son effectif de demain : Da Rocha et Savinaud ont confirmé, Carrière, Piocelle ou Olembe ont montré de bonne choses, et surtout Landreau, sans faire sa meilleure saison, a montré qu’il pouvait rester constant. Le prochain pari du technicien sera d’en faire son capitaine, et son leader d’équipe, à 19 ans.