Comment avez-vous atterri, en 1962, au FC Nantes, alors que vous n’êtes pas vraiment de la région ?...
Mes parents sont d’origine italienne et je viens de l’Est de la France. Je jouais à l’US Jarny et mon entraîneur était Emile Nuic un ancien entraîneur-joueur du FC Nantes. Il a appelé Albert Heil le responsable administratif, lui aussi lorrain, pour proposer mon profil. J’ai été invité à faire un match de préparation contre Angers et j’ai signé un contrat. C’était vraiment incroyable pour moi de me retrouver à 21 ans dans un club de première division car j’ai commencé à jouer au football seulement à 16 ans. Mon père ne voulait pas que je joue car pour lui ma carrière c’était de travailler à la mine, comme mon grand-père, lui et mes quatre frères.
Aujourd’hui, quels souvenirs gardez-vous de votre intégration au club ?...
La première année, je joue en amateur avec Guelso Zaetta qui était lui aussi un lorrain. Ensuite, j’intègre l’équipe professionnelle et je suis sous la responsabilité de José. Il m’a immédiatement mis dans le bain. J’avais conscience de la chance qui était la mienne. Je me souviens d’un de nos premiers échanges « avec toi je vais avoir du travail, mais je pense que l’on peut y arriver. Je préfère avoir un bourrin et le transformer en technicien, plutôt que l’inverse ». Il est vrai, qu’à l’époque, j’étais un joueur qui ne se posait pas trop de question. Je jouais à l’instinct. J’étais, en France, l’un des premiers latéraux qui montait autant à l’attaque et qui était capable de créer le surnombre. En règle générale, un défenseur ne dépassait pas la ligne médiane. Il m’a encouragé dans mon jeu et m’a appris à discipliner mes efforts. Il me disait « c’est bien ce que tu fais, mais il te faut apprendre à enrichir ton jeu car il y a d’autres options qui s’offrent à toi ». Avec lui, j’ai pris confiance dans mes capacités à progresser tactiquement.
Au quotidien, comment José Arribas était-il dans la relation ?...
J’étais très admiratif de ce qu’il était humainement et je ne lui voyais aucun défaut. Lorsqu’il parlait, je l’écoutais respectueusement. C’était quelqu’un de très attentionné qui s’intéressait à nous, à notre famille. Il était attentif à savoir si hors du terrain, nous étions bien dans notre vie, si tout se passait bien.
Dans le travail, lorsqu’il avait quelque chose à nous dire il nous prenait à part. C’était franc et direct. Avec lui, je fonctionnais à la confiance et j’étais heureux d’apprendre à son contact. Calme d’apparence, il savait le plus souvent maîtriser ses réactions mais nous savions qu’il était capable de piquer une colère lorsque la situation lui paraissait insupportable.
Pour un nouveau venu, est-ce que c’était facile de s’adapter à son style de jeu ?...
Pas vraiment. J’étais avant tout un joueur physique, rapide et résistant. À l’entraînement, ce qu’il demandait faisait appel à d’autres qualités. Ce qu’il nous demandait de faire, avec ou sans ballon, c’était compliqué. Au début, j’étais perdu, je ne comprenais plus rien au football. J’avais le sentiment qu’il fallait être ingénieur pour saisir les subtilités du jeu à deux, trois ou quatre. J’avais du mal à comprendre mais je n’étais pas le seul au sein de l’équipe. À chaque séance nous répétions les gammes pour qu’elles deviennent des automatismes. Mais ce n’était jamais monotone car il proposait des exercices différents. Ce qui peut apparaître simple sur un terrain nécessite souvent beaucoup d’investissement. Et puis à un moment, tout est devenu limpide et le jeu collectif s’est mis en place naturellement.
Comment êtes-vous parvenu à créer cette fluidité dans le jeu collectif ?...
À l’entraînement, l’effectif se composait d’une quinzaine de joueurs. Les oppositions se faisaient par petits groupes. Nous apprenions à résoudre les problèmes à travers les mises en situation. Le joueur qui a le ballon doit avoir à chaque fois plusieurs solutions. Il faut bouger sans arrêt. On jouait à une touche de balle parfois avec un adversaire… parfois sans. Il y avait beaucoup de jeu avec ballon mais quand cela n’allait pas, José arrêtait le jeu et expliquait la position que chaque joueur aurait dû avoir. Ses explications étaient claires et précises. Il faut avoir un temps d’avance et penser l’enchaînement avec la deuxième et troisième passe. Quand vous allez recevoir la balle vous devez savoir à qui il faut la donner. Cela exige d’être toujours en mouvement.
Est-ce que la préparation physique représentait une part importante de l’entraînement ?...
Travailler spécifiquement le physique nous ne le faisions qu’une seule fois par semaine. Il appelait cela « Le Monaco » en référence au Grand Prix. Le circuit monte et descend en permanence et il y a beaucoup de virages.
Nous allions au Parc de Procé pour faire un footing qui alternait des rythmes différents. C’est ce que l’on appelle le fractionné : des courses rapides sur 100 mètres environ puis plus lentes afin de faciliter la récupération. José a fait pendant très longtemps la course en tête pour montrer l’exemple.
Nous avions fréquemment la visite d’entraîneurs étrangers qui venaient observer notre manière de travailler. Une délégation de Barcelone est restée sur Nantes une semaine entière. Il faut croire que José était en avance dans sa manière de concevoir le jeu et l’entraînement.
Avait-il une manière particulière de préparer un match ?...
Tous les matchs avaient pour lui la même importance. Il n’était pas question que l’on s’économise sur un match pour privilégier le suivant. En tous les cas, aucune consigne n’était donnée dans ce sens. C’était une manière de respecter l’équipe en face et le public.
La philosophie d’Arribas c’était de préparer tous les matchs de la même manière. Il nous expliquait comment jouait l’adversaire mais il ne modifiait pas grand-chose tactiquement d’un match à l’autre. On ne changeait pas nos habitudes et le planning de la semaine en fonction de l’adversaire. Par exemple, il n'y avait pas chez nous de préparation spécifique pour les matchs de Coupe d’Europe. À tort ou à raison. C’était peut-être une manière d’éviter de se mettre une pression inutile.
Nous aurons l’occasion de vous proposer prochainement un second article sur l’interview réalisée avec Gaby De Michèle. Il évoquera les moments clés de sa carrière et ses meilleurs souvenirs sous le maillot du FC Nantes.
Crédit photo : Joël Martin