Au moment de donner le triste, désolant et bien sûr nostalgique clap de fin sur le film que fut la vie de Robert Budzynski, mort ce lundi 17 juillet à 83 ans, on hésite un peu pour déterminer le côté qu’il convient d’aborder en priorité tant l’existence de cet homme, partie d’une cité minière du Pas-de-Calais (Calonne-Ricouart), autant dire de nulle part dans les années 1940 car un fils d’émigrés polonais n’avait alors d’autres horizons que le fond des puits où on extrayait le charbon, a été à la fois riche, passionnante, hérissée aussi de passages délicats.
Est-ce le joueur deux fois champion de France, 11 fois international qu’il faut mettre en avant ? Ou le dirigeant d’avant-garde ? Ou l’homme à fort caractère ? Ou le globe-trotter qui ramenait des surdoués à Marcel-Saupin, surtout, à La Beaujoire ensuite ?
Deux éléments toutefois sont indéniables : le football a tenu une part essentielle dans cette longue vie, c’est bien grâce à lui qu’il s’est sorti du trou et le FC Nantes a été le club qui l’a marqué à jamais. Et inversement.
Joueur clé de José Arribas
Robert Budzynski a bien sûr été un précurseur, ses biographes le répéteront inlassablement, puisqu’il fut le premier directeur sportif du football français. Mais il a aussi, d’abord, été joueur montrant suffisamment de caractère pour contribuer au renversement d’un sélectionneur en pleine Coupe du monde et affichant une intelligence qui en fit sur le terrain et en dehors l’un des plus ardents défenseurs du système de jeu mis en place par José Arribas. En ce temps-là, la décennie 1960, Budzynski qui se complaisait en compagnie des étudiants nantais était considéré comme un intellectuel du football et sans doute l’était-il réellement tant les styles de jeu le passionnaient, alimentaient sa réflexion et lui paraissaient refléter la philosophie des hommes qui les mettaient en place.
Il était arrivé à Nantes par la petite porte car Lens, le club où il s’était révélé après ses débuts à Auchel, ne souhaitait pas le conserver. Il avait été proposé à Limoges et au Racing de Paris qui avaient fait la fine bouche car déjà on disait qu’il réfléchissait beaucoup ce qui, pour des dirigeants obtus, signifie souvent trop.
Avec Herbin, ils envoient le sélectionneur à la niche
José Arribas, lui, l’accueillit à bras ouverts et il en fit l’un de ses joueurs de base au poste de défenseur central où il était associé le plus souvent à Gilbert Le Chénadec, parfois à Claude Robin. Nantes pratiquait alors la défense en ligne, système de jeu très offensif, à risques, mis à la mode à Anderlecht par Pierre Sinibaldi, un ancien Canari. Budzynski était l’un des éléments-déclencheurs de cette tactique qui permettait de resserrer les lignes de l’équipe et d’évoluer en position très haute. Nantes jouait presque en permanence dans le camp adverse, Daniel Eon étant invité à jouer les pompiers en cas de contre-attaque mais c’était un rôle où il excellait. Nantes était très en avance pour son époque et il conquit ses deux premiers titres de champion de France en 1965 et 1966, le second en dominant outrageusement le championnat.
Les Nantais, Simon, Gondet, Budzynski en tête, étaient entrés en force en équipe de France dont le sélectionneur Henri Guérin (celui-là même qui avait recommandé Arribas à Jean Clerfeuille en 1960) prêchait un style de jeu, le béton – contre-attaque, aux antipodes du football à la Nantaise. Autant dire qu’il avait tout faux puisque ce sont d’autres joueurs que les Canaris qu’il aurait dû retenir pour évoluer de cette manière. La compétition se passa mal, il fallait s’y attendre, et Robert Budzynski et Robert Herbin, représentant de Saint-Étienne, l’autre club fort du moment, décidèrent que ce ne serait pas Guérin qui déciderait de la façon de jouer pour le troisième match mais les joueurs. Il était malheureusement trop tard : dans cette rencontre les Bleus donnèrent du fil à retordre aux Anglais, futurs champions du monde, mais leurs adversaires utilisèrent la manière forte, Jacky Simon fut notamment agressé par Nobby Stiles, ‘’le cerbère édenté’’ (il ôtait son dentier pour jouer afin d’impressionner son adversaire) et l’équipe de France fut battue et éliminée.
Directeur sportif, un costume pour lui
Si Nantes rentra ensuite dans le rang, ce fut beaucoup en raison des blessures dont furent victimes ses joueurs clefs dont Gondet, Eon et Budzynski. Ce dernier eut une jambe fracturée (tibia-péroné) par Simian contre Monaco en décembre 1968 et il ne rejoua pas. Un an plus tard, au cours d’un entraînement sa jambe céda en effet de nouveau (il avait voulu contrer un ballon) et bientôt il comprit qu’à 29 ans sa carrière était terminée. Le temps de l’insouciance était passé, on ne revit plus Bud sillonner les rues de la ville au volant de sa Triumph décapotable, il lui fallait penser à sa reconversion.
Le président Louis Fonteneau qui appréciait son intelligence, son ouverture d’esprit et ses connaissances footballistiques lui proposa alors un nouveau poste : servir de courroie de liaison entre la partie technique du club et les dirigeants, libérer la tâche de l’entraîneur en s’occupant du recrutement (en accord bien sûr avec le coach, une évidence pour l’époque). Fonteneau venait, sans penser à s’en vanter, de créer le poste de directeur sportif et c’est peu de dire que Robert Budzynski enfila ce nouveau costume avec élégance, montrant qu’il était taillé sur mesures pour lui. Il fut ainsi à la base du recrutement des Argentins qui marquèrent alors l’histoire du club, Angel Marcos et Ugo Bargas notamment, Curioni ensuite. Pour obtenir leur transfert, il effectua plusieurs séjours en Argentine, il y retrouvait notamment Raphaël Santos, un Argentin qui, après avoir fait les beaux jours du FCN au début des années 1960, était devenu plus ou moins imprésario.
Budzynski enrôlait des vedettes, il finalisait également la venue des jeunes, repérés le plus souvent par Guelzo Zaetta. Le club tournait rond. José Arribas disposait de joueurs correspondant à ses aspirations, Suaudeau faisait progresser les espoirs mis à sa disposition, Nantes redevint champion de France en 1973 et resta au sommet pendant une décennie véritablement dorée. Il y eut quelques couacs, les recrutements de Triantafilos et de Robert Gadocha par exemple mais dans l’ensemble le travail de Budzynski s’avéra aussi prépondérant que bénéfique, même s’il se trouva plusieurs fois en opposition avec Jean Vincent qui, parfois, éprouvait des difficultés pour s’intégrer au milieu d’un staff technique exclusivement nantais.
Des contestations après 1996
C’est Robert Budzynski qui fit venir Vahid Halidhodzic puis Jorge Burruchaga, qui alla au domicile de Patrice Loko pour arracher la signature parentale. Mais la venue d’Olarticoecha fut moins convaincante et beaucoup estimèrent qu’il n’avait pas ardemment défendu Coco Suaudeau quand Max Bouyer voulut remplacer ce dernier. C’est même Budzynski qui alla chercher Blazevic dans l’ex-Yougoslavie. Mais sans doute lui avait-on laissé peu de choix, Bouyer ne fut pas un président très inspiré, reste que c’est lui qui commandait.
Budzynski, dans l’affaire, semblait avoir acquis progressivement de la diplomatie mais perdu une partie de sa force de caractère et dans les années 1990, lorsque son recrutement devint moins pertinent il lui arriva d’être contesté, non pas par sa hiérarchie, qui le soutint toujours (Scherrer, Toumelin, Bobin) mais par la rue. Certains soirs, vers 1996 et 1997, on entendit des ‘’Budzynski démission !’’ résonner dans les travées de La Beaujoire. L’écho de ces contestations parvenaient à ses oreilles, forcément, il semblait pourtant qu’elles ne l’atteignaient pas, comme s’il avait compris que les critiques faisaient partie désormais de son rôle, devenu un métier des plus communs. Il disait aussi qu’il recrutait en fonction des moyens qu’on lui offrait et qu’ils n’étaient plus comparables à ceux de clubs davantage fortunés. Et puis ces censeurs n’avaient encore rien vu, s’ils avaient su vers quel sombre destin se dirigeait le FCN qui allait devenir une véritable officine de commerce, il est permis de croire qu’ils se seraient abstenus.
En tout cas, Bud gardait, chevillé au corps et à l’âme, l’amour d’un club qu’il servit avec une rare fidélité, car, en plusieurs occasions, il aurait probablement pu aller voir ailleurs, jusqu’en 2005. Il fut alors poussé vers une retraite qu’il ne souhaitait certainement pas.
Il continua à suivre, tant qu’il put, la vie de son cher FC Nantes dont il connaissait d’autant mieux l’histoire qu’il l’a fréquemment écrite. Il y a été pendant plus de 40 ans un acteur majeur et il laisse une trace qui n’est pas loin de ressembler à une légende.