La meilleure saison de tous les temps… mais juste en D1 !
1994-95 ça vous dit à peu près quelque chose non ? Quand on est fan nantais, c’est un peu la sainte saison, la sainte équipe, le groupe ultime, le jeu ultime, le coach ultime. Et pourtant, le coach, Jean-Claude Suaudeau, n’a jamais manqué de dire qu’il préférait le groupe de 1983. Mais vous, chers fans de LMJ, avez tranché cette question il y a quelques mois. Comme le disait Coco Suaudeau à propos de son groupe de 95 : « C’est vraiment une équipe qui était la moins capable, avec le moins d’aptitudes avec ce qu’on fait aujourd’hui, c’est-à-dire garder le ballon. Alors, on en a fait un jeu différent. Un entraîneur, il faut qu’il s’adapte en permanence. Et avec les éléments que j’avais, j’ai dit : bon, on sera jamais rationnels avec ce type de lascars, à commencer par « Karèm’beuh ». Donc ça avait été irrationnel notre jeu, mais sans qu’on ne se casse la gueule. On a mis en place ce jeu-là, parce que je n’ai jamais vu des joueurs aussi explosifs. Attention les yeux, c’est que ça pétait ! Et au lieu de faire dix passes on en faisait trois, quatre. Mais pas n’importe lesquelles. ».
Le résultat, on le connaît tous : Nantes prend un septième titre de champion, écrabouille, maltraite, humilie, enchaîne les fessées, meilleure attaque, meilleure défense, meilleure série d’invincibilité, que même les milliards d’investissement du Grand PSG de QSI n’ont toujours pas réussi à dépasser. Après trente-deux matchs, Nantes affichait un compteur de défaites à… zéro. Et à la fin du championnat, seul Strasbourg aura réussi a arracher trois petit points aux Jaunes et Verts.
Mais ça, c’est pour la Division 1, notre Ligue 1 Uber Eats de l’époque. Et avec un tel jeu, une telle saison, on se dit que, pour les autres compétitions aussi, ça a du péter comme disait Coco, surtout que dans les coupes de France et de la ligue, les adversaires sont parfois plus faible. C'est tout le contraire qui se produit. En fait, c’est même le bide total : en coupe de France, onze gars de Saint-Leu sortent les Nantais dès les seizièmes de finale et, en coupe de la ligue, c’est Bastia qui sort sobrement les Canaris en quarts. Le club qui aura été le plus dominant de l’histoire sur une saison se retrouve sorti en coupes, en prenant la petite, que dis-je, la micro porte. Mais Nantes était aussi en coupe d’Europe, et ici, la réponse est plus contrastée.
Un bon parcours européen
Ayant terminé cinquième en 1994, le FC Nantes joue la coupe UEFA, que l’on connaît sous le nom d’Europa League aujourd’hui. Et contrairement aux coupes nationales, le FC Nantes souhaite s’investir. À l’époque, la compétition n’était qu’une succession de tours, avec matchs aller-retour. Il fallait donc commencer en trente-deuxième de finale, et vous les connaissez ces matchs, ce genre de vieux matchs dans des villes lointaines, dans des stades-frigos, contre des clubs dont on n’a jamais entendu parler, mais qui, d’une manière ou d’une autre, veulent jouer le match de leur vie face à des clubs français. Oui, on les connaît tous, et Nantes va donc commencer contre le Rotor Volgograd et son stade russe avec… des arbres dans les tribunes, ainsi qu'une régie qui défile sur l’écran, très sérieusement, les noms de Marro, Le Dise, Cristophe Pignol, Erik Dekroit, Nikola Wedek, Yafet N’Doram, Patris Loko et Suodo (ce n’est pas une blague). Robert Budzinski ne s’y trompe pas : «J’espère qu’ils vont se libérer rapidement ». Et évidemment, après avoir créé le malaise sur l’écriture des noms des joueurs, le Rotor met le malaise aux Nantais encore invaincus en saison à ce stade : 2-3. À la Beaujoire, il faut laver l’affront, et c’est façon tarif maison. « Wedek » qui croise une belle tête en lucarne, Ouédec encore, qui place une reprise au sol, et Ouédec une troisième fois, sur pénalty. Loko ajoute un dernier pour la route : 4-0.
En seizième de finale, comme si cela n’était pas déjà pénible d’aller jouer dans les lointaines contrées russes, on y renvoie les Jaunes et Verts, pour jouer contre le Tekstikchtichik Kamychine. À la Beaujoire, les Nantais ont cependant cette fois sécurisé l’avantage : 2-0, Ouedec et un csc. Et au retour, dans un vieux stade, sur une pelouse injouable, boueuse, sous la pluie totale, c’est toujours Ouédec qui casse la baraque avec un doublé : 2-1.
Terminées les aventures dans l’ex-URSS ! Pour les huitièmes de finale, on accorde à Nantes une petite cure en Suisse. Ce sera le FC Sion, club qui, à la surprise générale, a sorti l’Olympique de Marseille au tour précédent ! Nantes va proposer aux Suisse un cadeau de bienvenue à la Beaujoire : le tarif maison. Et d’ailleurs, interrogé par Canal dans la tribune Loire, un supporter nantais résume : « Sion n’a rien montré contre Marseille, je n’attends rien d’eux, donc ce soir, ça ne sera pas le tarif, ce sera double tarif : 6-0, et pour leur faire plaisir on les laissera marquer un but ». Un peu arrogant non ? Non… car Loko, Ferri, N’Doram et Malelele mettent quatre pions aux Suisses. Le match retour est une formalité, 2-2. Les quarts de finale s’annoncent excitants, ce sera le Bayer Leverkusen ! Équipe allemande largement à la portée des Canaris.
Tout au long de ce modeste parcours européen, la saison nantaise en D1 ne va que garnir de plus en plus les travées de la Beaujoire (rappelons que les premiers matchs se jouaient dans un stade quasi-vide), le FCNA va faire de plus en plus peur, susciter de plus en plus d’enthousiasme, ou comme on dirait aujourd’hui, de « hype ». On pèse nos mots, Nantes est une équipe puissante, effrayante. Serge Le Dizet l’évoque lui-même : « On arrivait sur le terrain, c’est comme si on avait déjà gagné le match ». Nantes est si fort, que même avec ce que la presse appelera « la malédiction du dernier rempart », les Canaris vont prospérer en 1995, à la seule exception de cette terrible soirée du 28 février 1995.
La loi de Murphy, mais avec des gants
S’il y a bien UNE chose qui va tourner au vinaigre en cette saison 94-95 pour ce FC Nantes si invicible, c’est bien la question des gardiens. En début de saison, la hiérarchie est claire : David Marraud est le numéro 1 de Jean-Claude Suaudeau. Marraud, c’est un vétéran, il est là depuis longtemps, depuis 1985 même. Pour rappel, il est le premier homme à avoir pris un but contre un certain Zidane… Fort caractère, un peu à l’image des gardiens de l’époque d’ailleurs, Marraud ne souffre d’aucune contestation… sauf de celle de son genou. En novembre, contre Monaco, Nantes déroule, et sur une action presque anodine, le portier s’élève pour intercepter une balle en chandelle. Son atterrissage semble se passer sans souci, et pourtant, il se termine en rupture des ligaments croisés… saison terminée pour Marraud, la tuile pour le FCNA.
L’indisponibilité de Marraud va-t-elle mettre en péril la bonne saison du club ? Au contraire, ce sera une révélation. Arrivé des divisions inférieures, Dominique Casagrande va saisir sa chance pleinement en tant que substitut. On se rappelle souvent que ce fut Landreau qui vit sa carrière lancée par Coco Suaudeau, mais on oublie aussi que Casagrande a pu percer en Ligue 1 sous sa houlette également. Casagrande est énergique, engagé, il n’hésite pas à aller au sacrifice… au sens propre. Lors d’un des plus grands soirs de la saison, au parc des Princes, face au champion en titre, le PSG, la raclée est totale pour les parisiens (3-0). Weah tente de sauver l’honneur et tente une percée vers le but nantais. Le ballon d’or est lancé comme une fusée ! Et Casagrande n’hésite pas à lui plonger dans les pieds. Pieds contre mains… et main cassée. Et de deux. Remplacé par Loussouarn, le futur gardien du PSG, au bord des larmes sur le banc de touche, résumera sobrement : « enculé !! ».
Bon, l’indisponibilité de Casagrande sera temporaire, et Loussouarn, petit produit de la Jonelière, arrivé en 1989, n’est en aucun cas un étranger à Nantes, il prend donc le relais, discrètement, mais avec sérieux, un peu à l’image de celui qui sera son successeur plus tard, le sympathique Willy Grondin. Loussouarn se distingue d’ailleurs, en étant l’un des plus jeunes gardiens à jouer en D1 dans l’histoire !
Et le jeune Canaris est bien parti pour devenir l’un des plus jeunes gardiens à jouer la coupe de l’UEFA ! Alors la moindre des choses, c’est de s’entrainer avec énergie, hein Christian ? Christian Karembeu, le futur champion du monde 98 et d’Europe 2000, lui aussi, en 95, il aime bien s’entrainer avec énergie… à tel point que la veille du match contre Leverkusen, Karembeu se heurte au petit Eric, et le blesse.
Résumons donc : Marraud, out, mais un gardien remplaçant ça peut toujours faire le taff non ? Bon, si le gardien remplaçant est out aussi, lancer un autre petit jeune, ça peut être valorisant non ? Mais par contre si tu casses le petit jeune… il te reste qui ? Et c’est à ce moment-là mes amis, que nous aurions tous du envoyer nos CV.
Jean-Louis Garcia : de Pôle Emploi à l'UEFA
C’est la guigne non ? Coco Suaudeau veut bien lancer du gardien, mais Mickaël Landreau est encore au collège en 95, donc on ne va pas abuser et on va faire le système D. D, comme déroule les carnets de l’ANPE (ancêtre de Pôle Emploi) et trouve un coco qui peut faire le travail. Et bingo, il va nous chopper monsieur Jean-Louis Garcia.
Garcia rappelle aussi un certain Willy Grondin. Passé par Cannes, Monceau, Monaco, Châtellereault, Nancy, il fait finalement ses dernières années au FCNA, à partir de 1991. À cette époque, Garcia ne compte que quelques matchs en professionnel, la plupart dans les années 80. Sentant la transition vers d’autres métiers arriver, Garcia décide de s’arrêter, et prend sa retraite, discrètement, en s’engageant dans des voies de reconversion.
Et alors qu’il est en formation à l’ANPE, Garcia est soudainement rappelé par Coco, au moment de la blessure de Casagrande. Coco sentait-il la guigne venir sur lui ? Quoi qu’il en soit, la légende nantaise demande à Garcia de signer une licence fissa, juste au cas où… C'est donc bien ce gardien de dernière minute qui prend place dans les cages nantaises le soir du quart de finale.
L’art de la passoire nantaise
Bref, vous l’aurez compris, pour ce quart de finale de coupe UEFA aller, il y aura du beau monde. Devant Garcia, tout fraichement sorti de l’anonymat, Decroix, Capron, Guyot, Pignol, Ferri, Makélélé, Karembeu, Pedros, Loko, Ouédec, ainsi que Le Dizet et N’Doram prêts à entrer. Imaginez-vous un instant, sortir de votre vie quotidienne pour chausser les crampons, et entrer sur le terrain avec ces légendes. Et en face de vous ? Wörns, Paulo Sergio, et même un certain Rudi Völler…
Mais le sérieux de l’événement va prendre rapidement le dessus sur l’émerveillement, et surtout, Garcia n’a pas joué de match depuis presque deux ans... le retour à la réalité n’attend pas. Dès neuf minutes de jeu, première frappe de Lehnoff, de loin. Garcia la voit, se couche, et positionne parfaitement ses bras pour former un très joli cercle qui permet au ballon de passer dedans. Mais quel joli cercle ! 0-1.
Neuf minutes plus tard, Garcia n’a même pas la force de tirer ses propres six-mètres. Alors Ferri envoie des grosses patates bien mal placées dans l’axe. Pas de soucis, car Karembeu est là pour sortir cette balle de la tête…en plein dans l’axe. Pignol peut sécuriser cette balle aérienne vers Garcia par une passe en retrait maîtrisée… mais ce serait trop simple. Donc Pignol envoie lui-même une jolie bouse en retrait à mi-hauteur. Mais si, vous savez, ce genre de balle littéralement incontrolable. Kirsten n’en demande pas tant et reprend cette balle. Garcia sort, et utilise la technique du high-kick des ninjas, mais en visant l’air, et pas le ballon. 0-2.
Mené 0-2, ce n’est pas très « Nantes 95 » ça. Alors d’une manière assez improbable, Ouédec se fait retenir et faucher par Wörns, alors que les deux hommes étaient loin de l’action : pénalty. Ouédec n’en demandait pas tant, et place son neuvième pion de la compétition. 1-2. Avec ce score, le retour à la Beaujoire pourrait être joué très favorablement.
Seconde mi-temps, et Garcia va encore avoir de quoi profiter. Une barre, un poteau, ça tire de partout ! Leverkusen lève un peu le pied et on se dit que l’orage est passé… et puis les Allemands se remettent en marche. Petit décalage à gauche pour Wörms, qui lance le centre, et Paulo Sergio vient couper au premier poteau. Garcia saute avec grâce et regarde la balle de loin, qui lui dit « bonjour ». 1-3.
Ça commence à sentir un peu mauvais, 83e minute, corner nantais, repoussé, et… un peu comme un jeu à la nantaise en fait, les Allemands remontent avec rapidité, et en deux passes, Paulo Sergio se retrouve lancé. Bien mis en confiance par les 50 kg que Decroix semble avoir soudainement pris, il vient piquer devant Garcia, qui vient glisser sur la pelouse, ça devait être rigolo : 1-4.
Le massacre s’achève en fin de rencontre, sur un nouveau centre de Thom, un peu trop long. Mais la défense nantaise est là, et observe. Elle a ainsi le temps de voir Lehnoff reprendre de l’autre côté, pour donner tranquille à Scholtz, qui talonne tout aussi tranquille vers Kirsten, lequel n’a plus qu’à taper fort, et ça passe. 1-5, et Nantes sait déjà que l’aventure UEFA s’arrête là. Dommage, il faudra attendre l’année suivante… mais ça, on vous en a aussi parlé.
Trop sévère contre Jean-Louis ?
Le lendemain du match, Libération titrera « les Nantais reviennent avec la goal de bois ». Ce match reste comme l’un des pires souvenirs des gardiens de l’histoire du FCNA. Mais n’en fait-on pas un peu trop sur ce match et sur le pauvre Jean-Louis ? Déjà, il n’a pas hésité à rendre service. Ensuite, au final, seul un but est vraiment du fait d’une erreur notable d’appréciation. Sur les quatre autres, entre le dégagement bien dégueulasse de Karembeu et la passe patate surprise de Pignol, difficile de venir blâmer seul le gardien dans cette action, et sur les autres buts, n’importe quel gardien aurait pu s’incliner. D’ailleurs, le résumé de Libé ne s’y trompe pas : « ce match a été celui de la mésentente » et ajoute même qu’en seconde période « Garcia sort suffisamment de ballons pour prendre confiance ». Pour So Foot, également récemment revenu sur l’événement : « les Nantais sont orgueilleux et ne connaissent plus la défaite depuis longtemps ».
Ensuite, on oublie tous également que Garcia était là au match retour, qui s’est soldé par un nul. La débandade n’aura donc finalement été vraiment notable que pendant une mi-temps. Surtout que Garcia va aussi et surtout jouer en D1, pour la victoire contre Nice qui permet à Nantes de battre le record d’invincibilité du PSG (vingt-neuf matchs sans défaite, victoire 2-1). Enfin, Nantes n’a jamais déjoué en D1, même avec un jeune Casagrande de vingt-trois ans sur son premier contrat pro, même avec un petit Loussouarn de dix-sept ans… alors en quoi un vétéran aurait-il posé soucis ?
Au final, parce qu’on aime les anecdotes, mais aussi chambrer un peu, on peut se remémorer le match de Jean-Louis Garcia avec un certain sourire. Mais au-delà des moqueries bon-enfants, soyons honnêtes, tout gardien qui se respecte a connu ce jour, ce soir, où rien n’allait, où tout passait, où les mains étaient en mousse, où le gruyère était devenu votre signe astral. Votre auteur en sait quelque chose, il a passé dix ans dans les cages. Le poste de gardien est aussi impitoyable que magnifique, il demande une concentration permanente, et une capacité à surmonter ses doutes. Lorsque les conditions qui favorisent ces facteurs ne sont pas réunies, comme par exemple reprendre sa licence en urgence pour combler un manque après sa retraite, il ne faut jamais s’étonner d’être rapidement noyé. De la même manière qu’Hugo Lloris est devenu champion du monde avec la plus grosse bourde de gardien de l’histoire d’une finale de mondial, Garcia est devenu champion de France avec l’une des plus belles équipes de l’histoire du foot français, en ratant juste quelques ballons.
Enfin encore, n’oublions pas que Jean-Louis Garcia, c’est également un entraîneur des gardiens lorsque Landreau arrive dans les cages nantaises, avant d’être passé en entraîneur par Bordeaux, Toulon, Lens, Châteauroux, Grenoble, Troyes, et aujourd’hui Nancy, mais surtout Angers, où il fut nommé meilleur entraîneur de l’année 2009 !
Alors Jean-Louis, si tu nous lis, on te le dit : merci !