Arrêter les pénaltys : est-ce vraiment une spécialité ?
Votre rédacteur a passé onze ans dans les cages sur les terrains de Loire-Atlantique, et quand bien même il en a vu des arrêts de son idole à la Beaujoire, lorsque le ballon était aux 11 mètres, lorsque c’était à son tour de stopper les tirs-au-buts, il a compris que quoi qu’on fasse, il y a toujours une part d’instinct et de chance. Non, arrêter les pénaltys, bien que c’est arrivé, ça n’était pas ma spécialité, clairement. Mais était-ce celle de Mickaël Landreau ?
Beaucoup d’analystes vous répondraient qu’il est le spécialiste. Mais s’il est arrivé que des gardiens se distinguent sur un aspect du jeu, ça n’a jamais été qu’un accessoire de leur panoplie. Ainsi, Chilavert tirait les coups-francs, Olmeta faisait des remontées de terrains, Neuer joue les libéraux, mais ils étaient des gardiens complets, avec un leadership, une réactivité, une vitesse. Bleacher Report avait d’ailleurs fait un bilan statistique des meilleurs stoppeurs, et entre Cech, Casillas, Buffon et autre Tim Howard, on se dit bien que stopper des pénaltys n’était par leur seul atout.
Pourquoi suivre les « Cahiers du Landreau » ?
Malgré ses 618 matchs en Ligue 1, Landreau n’est "que" le 7ème meilleur stoppeur de pénalty en Ligue 1 ! Derrière Ruffier, Reynet, Lopez, Maignan, Subasic et Costil… Alors pourquoi vous penseriez d’abord à Landreau si vous voulez parler pénalty ?
Mickaël Landreau s’est mis en avant dans la discipline parce que c’est avant tout son premier fait de jeu qui l’y a fait entrer. On connait tous l’histoire : saison 96-97, un début de saison dans le mal, et le 2 octobre 1996, Coco Suaudeau lance le jeune Mickaël du haut de ses 17 ans dans l’élite, dans le stade où, 18 ans plus tard, il terminera sa carrière en club*. Lubomir Moravcik se présente pour Bastia, envoie une belle patate, mais le gamin Landreau bondit sur sa droite et boxe la balle. Quelques jours plus tard, rebelotte, à Montpellier, il repousse le tir de Franck Sauzée, soit 100% d’arrêts en début de carrière, ça marque un peu les esprits.
*Landreau termine officiellement sa carrière en juillet 2014, lors du quart de finale de coupe du monde, France-Allemagne, en tant que remplaçant.
Mais pourquoi Landreau est-il si reconnu dans cette discipline ? Pas par le nombre de pénaltys stoppés, mais plutôt le contexte dans lesquels ils sont stoppés. Sans les arrêts de Micka’, pas de coupe de France 99, pas de coupe de France 2000, pas de demi-finales de coupe de France en 2001, pas de trophée des Champions 1999, et possiblement pas de titre en 2001. Si Nantes a pu percer dans plusieurs compétitions, c’est indéniablement parce que Landreau a mis la main ou le pied là où il a fallu le faire, là où il ne restait que lui, et l’adversaire. Alors oui, Landreau et ses 99 pénaltys stoppés en carrière au total, ne détient pas un record, mais combien de matchs décisifs ont basculé sur ses stops ? Là est la différence. Etudions ça d’un peu plus près :
Ce que nous apprennent les arrêts de Mickaël Landreau
Le journal L’équipe avait proposé un article sur comment vous pouviez devenir un bon stoppeur de pénalty, mais on se permettra la critique d’en dire que cela concluait à beaucoup d’intox et de mise en scène, alors que les vrais atouts sont ailleurs. Alors attention, nous ne disons pas que les petits jeux, l’intox, ne sont pas de bonnes méthodes, et Landreau lui-même s’en est servi, mais il faut aussi comprendre que ces « outils » restent des coups de poker. Or, le « cahier du Landreau » que nous vous proposons, peut vous aider à travailler sur vos chances au quotidien.
1 - Gestuelle des bras quasi-absente :
Là où certains vous conseilleraient d’ouvrir grand vos bras, de pointer une direction, de les agiter comme un clown, Landreau, lui, a toujours gardé ses bras proches de son centre de gravité, comme on le voit face à Moravcik. Face à Franck Sauzée en 97, son deuxième pénalty stoppé en carrière, il tend les bras vers l’avant, un peu d’intox, oui, mais il le garde bien en alignement sur la verticalité de son corps, une posture de départ qu'il gardera tout au long de sa carrière. Sur ce plan, Landreau n'aura presque jamais brisé cette continuité.
Pourquoi c'est efficace ? Justement à cause du centre de gravité, qui n'est pas affecté par le poids des bras, mais aussi parce que cela vous permet plus de capacité de réaction et de déploiement de vos bras lorsque vous amorcez votre plongeon. Alors oui, ouvrir les bras grands pour donner le sentiment d'occuper l'espace, c'est bien, mais se donner la capacité d'occuper l'espace quand le tir arrive, c'est mieux !
2 - Le premier appui et le second
Gardiens, soyez avertis, sans pied d’appui, vous n’arrêterez rien et vous n’aurez qu’à prier que ça tire trop haut ou trop à côté. En gros, ne faites pas comme Fabien Cool. Alors oui, la gestuelle liminaire des bras est très limitée chez Mickaël, mais les jambes, c’est une autre histoire. En effet, pour la quasi-totalité des pénaltys stoppés avec Nantes, on constate un départ vertical, suivi d'une première flexion sur le pied d’appui (souvent le droit) et un second pour l’extension. Dès-lors, Landreau ne disposait pas d’un, mais de deux appuis forts. On le voit lors de son arrêt contre Sauzée en 97, Landreau applique déjà ce travail d’appuis.
Un atout, c’est certain, mais… on peut remercier la VAR de ne jamais avoir existé à l’époque, puisque ce principe de double-appuis mettait notre gardien préféré bien loin devant sa ligne à de très nombreuses reprises, comme en témoigne le fameux pénalty contre Bastia, en 2001, match décisif pour le titre. Cela forcera Landreau à souvent mettre un pied derrière la ligne, un conseil que l’on peut vous recommander. Cependant parfois, cela ne suffira pas à calmer les ardeurs murales de notre capitaine nantais. Ainsi, lors de la demi-finale de coupe de la ligue contre Auxerre en 2004, l’arbitre du soir ne sera vraiment pas dupe, parce que Micka’ va sévèrement abuser de cette stratégie, il doit ainsi demander à Landreau de faire face à Djibrill Cissé deux fois, puis Yohann Rané deux fois aussi !
3 - Rapidement vers le sol
C’est la force et le talent insoupçonné de ce grand gardien. À de très nombreuses reprises, Micka’ va aller chercher la balle au sol avec une rapidité remarquable. C’est bien sûr une résultante du bon travail d’appui, mais aussi d’un mouvement du torse en courbe pour passer de l’impulsion qui l’amène vers le haut, pour le ramener vers le bas. Premier exemple de ce type de mouvement contre Auxerre en 1999 ou encore contre Bastia.
Le meilleur exemple reste le 22 juillet 1999 contre Monaco, pour le Trophée des champions. En cette belle après-midi au stade Bonal (Sochaux), Landreau va stopper les tirs de Christanval, Contreras, et le meilleur joueur de D1 de l’époque, Marcelo Gallardo. Les trois en utilisant sa capacité à prendre son appui, avant de redescendre rapidement au sol. Ce type de mouvement permet souvent à Mickaël non pas de juste repousser le tir, mais parfois de le bloquer net, laissant presque le tireur en choc, comme si un message lui était envoyée : "ton tir est faible, mec !".
4 - Un gardien à « quatre mains »
C’est à compter de 2003 que Micka’ commence à prendre quelques habitudes qui vont donner de plus en plus de sueurs froides à tous les tireurs de pénalty de l’hexagone. Le portier nantais continue de placer souvent ses mains en quasi-perpendiculaire, mais en fait désormais autant avec ses jambes ! En effet, le capitaine canari est encore à ce jour l’un des seuls à lever une jambe de manière perpendiculaire à l’autre. Le mouvement nécessite une puissance dans les jambes, qui forcément va joué sur les appuis et la capacité à chercher des balles plus excentrées, mais la surface de couverture du tir est en réalité doublée. Dès lors, face à Landreau, imaginez-vous viser sur votre droite, si vous tirez au sol, c’est la main gauche, si vous tirez en l’air, c’est la main droite, si vous centrez plus votre tir au sol, c’est le pied droit, et si c’est en l’air, c’est le pied gauche : en somme, un « gardien à quatre mains ». Le premier pénalty arrêté du style est contre Guingamp, en janvier 2003, en Coupe de la ligue, face à Sikimic, un pénalty qui donnera la victoire aux Canaris (Landreau verra d’ailleurs le pénalty de son ancien camarade Nestor Fabbri passer au-dessus). Ce sera aussi de cette manière que Micka’ arrêtera les pénaltys auxerrois en demi-finale de la coupe de la ligue 2003-04, ou en demi-finale de coupe de France face au PSG la même année, mais c’est aussi et surtout ce type d’arrêt qu’il fera face à Lyon, toujours en coupe de la ligue, 2005-06 cette fois, en stoppant le boulet de canon hypersonique de John Carew. Le son de la balle frappant son poignet raisonna dans toute la Beaujoire ce soir-là.
Curieusement, cette évolution s’accompagne aussi d’un changement de style vestimentaire : Landreau, lorsqu’une séance de pénaltys se présentera, changera sa tenue et reviendra sur le terrain avec un pantalon de gardien. Superstition on imagine, ou protection des genoux, on spécule.
5 - L’intox
Bon évidemment, comme depuis toujours, le tir et l’arrêt de pénalty sont parfois affaire d’intox, de bluff. Dans le cas de Landreau, cela a existé, on peut citer trois exemples dont les deux premiers sont en finale de la coupe de la ligue 2004 face à Sochaux. Micka’ insiste pour que les tireurs sochaliens viennent chercher le ballon eux-mêmes là où il s’est arrêté, ou joue lui-même avec la balle pour déconcerter, il joue aussi avec son positionnement, laissant croire qu’il nous refait un coup dont on parlera quelques lignes plus bas. Ce n’est pas grand-chose, mais sur cette série, on peut dire que ça fonctionnait à 99%. Le soucis étant que le 1% restant, c’est le second exemple d’intox, et bon… la Panenka… non mais on va pas vous remontrer les images. Et puis cette coupe n’existe plus donc… voilà.
Le troisième exemple, c’est évidemment Ronaldinho. D’abord on vous laisse regarder les images pour le plaisir et ensuite on vous explique. Nantes en 2003 avait déjà mis une petite gifle au PSG chez lui en championnat. Quelques semaines plus tard, revoilà nos deux équipes au Parc des Princes. Le PSG possède dans ses rangs l’un des plus brillants joueurs du monde, champion du monde 2002 avec le Brésil, en la personne de Ronaldinho Gaucho. À la 82ème minute, Ronny peut égaliser à 3-3, une chance pour un PSG qui se fait malmener toute la soirée. Ronny est un tireur impeccable, parmi les plus grands. Et voilà un Mickaël Landreau totalement sur sa droite, laissant jusqu’à cinq mètres de vide.
Mais comment réussir à flouer un tel tireur ? Et bien… comme ça, avec de l’intox. Cet arrêt monumental (Landreau stoppe la balle net avant de relancer à la main, laissant Ronaldinho pantois) est certainement celui qui fera entrer Mickaël Landreau dans la légende des stoppeurs de pénaltys. Plus tard, ou plutôt il n’y a pas si longtemps, le 13 novembre dernier, Landreau confessa au journal l’Equipe qu’il voulait « s’amuser avec Ronaldinho ». Pas sûr que Gaucho se soit amusé à se faire humilier de la sorte…
6 - L’angle du tireur
Vous voulez apprendre à stopper des pénaltys ? Et bien c’est le secret final : l’angle du tireur. Étudier l’angle n’est pas une science exacte, mais elle sera un facteur cruellement efficace. Et Mickaël le savait.
C’est d’ailleurs l’angle qui fait que Mickaël s’est distingué comme un tireur de pénalty… très limite, voire mauvais. Ainsi, pour le pénalty de qualification en finale de coupe de la ligue en 2004, Landreau prend un angle très serré pour frapper en croisé, et bien trop fort, il s’en est fallu de peu pour que cela passe bien, bien au-dessus et puis pour ce qui est de la finale… nan mais on avait dit qu’on n’en parlerait pas.
Mais l’exemple du tir de Ronaldinho nous sert ici aussi : lorsque votre tireur prend plus de 45° d’angle par rapport à la balle, il est fort probable que son tir soit croisé au sol (regardez les pénaltys de Zidane aussi sur ce point), et en l’air si le recul est fort. On peut citer Ronny, mais aussi Carnot en 1999. En revanche, un angle faible peut fortement traduire un tir en courbe non-croisé. On peut prendre l’exemple du tir de Juninho en 2003 ou de ceux d’Isabey et de Lonfat en 2004 ou encore Leal, Cana et Mendy en 2004.
Conclusions :
On ne vous promettera pas du 100% d'arrêts, ni du 100% de victoire. On vous l'a dit, le pénalty, c'est toujours un peu de chance, quoi qu'on y fasse. Mais vous avez là six leçons d'un maître qui a su être efficace, à savoir : gardez bien vos bras là où il ne gèneront pas vos mouvements, travaillez vos appuis de départ (et gardez bien votre ligne), sachez trouver rapidement une horizontalité, utiliser le maximum d'espace avec votre corps, n'utilisez l'intox qu'en circonstances, et étudiez l'angle de votre tireur. Ces six conseils peuvent vous aider à progresser, en tout cas, on a regardé le meilleur qui soit pour vous l'expliquer !
Micka et ses favoris :
On se permettra de conclure sur le fait que Landreau a été un redoutable stoppeur de pénalty dont il faut bien évidemment s’inspirer : très fort au sol, intelligent sur l’utilisation de son corps, réactivité physique impressionnante, souplesse également, et capable de ne pas juste repousser un pénalty, mais bien de l’arrêter totalement, intox seulement quand c’est nécessaire. Landreau avait aussi ses préférences, qu’elles soient volontaires ou pas. Ainsi, un stoppeur de pénalty est forcément plus sollicité lors des compétitions à élimination directe, et la Coupe de la Ligue aura été probablement l’un de ses plus beaux champs de bataille. On remarque aussi quelques victimes récurrentes avec Nantes : Paris (cinq fois, dont deux pénaltys stoppés contre le PSG dans la même saison), Bastia (quatre fois), et Monaco (40 % d'arrêts réussis sur tous les pénaltys).
Le « What if » pour conclure : et si Landreau avait remplacé Barthez en 2006 ?
Vous vous souvenez de Krul ? Ce gardien néerlandais qui était entré à la dernière seconde de la prolongation du quart de finale du Mondial 2014. L’intox fut efficace, Krul stoppant deux tirs costa-ricains et qualifiant les Oranje pour les demi-finales.
En 2019, Domenech confessa à Télé Loisir qu’il avait mis en option de remplacer Barthez par Landreau pour la séance de tirs-aux-buts, mais que les trois changements avaient été fait bien trop tôt, notamment après le coup-de-boule de Zidane sur Materazzi. Alors oui, tout cela n’est que spéculation, et franchement, difficile de savoir si cela aurait changé la donne vu la qualité des tirs italiens pendant la séance. Par ailleurs, remplacer le capitaine Barthez par le troisième gardien… on aurait connu mieux en termes de respect. Et puis à quoi bon débattre, nous avons eu notre deuxième étoile quelques années plus tard. Cela étant, on sait que Domenech avait suffisamment d’imprévisibilité pour se lancer… une idée que RTL confirmera également. Foutu coup-de-boule !
Le destin de votre club est désormais entre vos mains, chers gardiens ! On a hâte d'entendre vos exploits sur les terrains ligériens du dimanche !
Pour la liste des pénaltys stoppés par Landreau : https://www.mickael-landreau.fr/wp-content/uploads/2014/10/statistiques_penalty_maj_240914.pdf