Le pouvoir de l’audace

L’intelligence de Jean Vincent est d’avoir très vite compris le formidable potentiel que représente l’école nantaise. Son audace est de faire confiance, dès sa première saison, à de nombreuses jeunes pousses. Sans nul doute, il a profité de la formation et du talent d’une génération dorée. Rappelons que l’effectif de la saison 1976-77 se compose de douze joueurs qui ont 21 ans ou moins. Le nouveau coach lance dans le grand bain une liste impressionnante d’espoirs sans qu’il soit dans l’obligation de le faire : Eric Pécout, Bruno Baronchelli,  Loic Amisse, Omar Sahnoun, Thierry Tusseau, Maxime Bossis, Michel Bibard, Georges Van Straelen, Oscar Muller…

Oser faire cela, au plus haut niveau, lors d’une première saison n’avait rien d’évident. Cette approche décoiffe avec les pratiques de José Arribas plutôt soucieux de préserver certains équilibres. De l’audace, il fallait en avoir pour convaincre un public exigeant et rassurer des dirigeants soucieux de rentabiliser l’investissement financier qu’incarne à l’époque les deux gros transferts réalisés l’année précédente : Robert Gadocha et Yves Triantafilos.

Jean Vincent n’a pas hésité à faire des choix clairs et à les assumer. Les faits confortent rapidement sa position puisqu’il remporte, dès sa première saison, le titre de champion de France avec neuf points d’avance. Excusez du peu !!!

Sa complicité avec Henri Michel est un atout déterminant. En effet, le capitaine prend du plaisir à évoluer au sein de cette équipe rajeunie « depuis que je suis arrivé à Nantes, j’ai rarement connu une telle sensation de plénitude ». Il devient son relais au sein de l’équipe et un formidable exemple sur le terrain.

Dans l’ouvrage de Denis Roux, Henri met en avant la vitesse du jeu : « Ils jouent à 200 à l’heure et je suis obligé de suivre ».  Il est vrai qu’Omar Sahnoun et Oscar Muller impriment un rythme rarement connu dans le passé. Dans l’effectif, Gilles Rampillon fait dorénavant figure de joueur expérimenté alors qu’il n’a que 23 ans. Il évoque la confiance qui habite son équipe : « la question n’était pas de savoir si nous allions gagner, mais combien de buts nous serions capables de marquer ». Le style de jeu est flamboyant. Le trio d’attaque montre une efficacité rare devant le but et la défense n’est pas en reste avec l’éclosion de nouveaux talents tels que Thierry Tusseau et Maxime Bossis. Des joueurs qui démontrent une grande mobilité et polyvalence.

L’affirmation de sa légitimité

Sa seconde victoire c’est celle d’être reconnu par ses pairs. Jean Vincent n’est pas arrivé au club avec l’approbation de tous. Jean-Claude Suaudeau vit d’ailleurs son éviction comme un véritable camouflet. La famille du FC Nantes est désunie au moment du départ du grand timonier.  Jean Vincent a compris qu’il est le successeur mais pas l’héritier. Il ne fait pas vraiment partie de la famille comme l’exprime Michel Tronson : « À son arrivée au club, il a beaucoup souffert de son isolement. Mais Jean étant ce qu’il était… un homme chaleureux, solaire, très extraverti, il a gagné les gens les uns après les autres ».  Jean Vincent est un « animal social » et il a besoin de confiance pour s’exprimer. C’est pourquoi il a d’autant plus de mérite d’avoir convaincu de sa légitimité. Robert Budzinski, hostile à sa venue, reconnaît assez rapidement sa capacité à faire le job « psychologiquement, mentalement, c’est lui qui a apporté le plus. Il dépassait la logique. C’était un optimiste indécrottable. » 

La première saison a été remarquable. La seconde s’avère plus délicate à gérer. En début de saison, de nombreux points sont dilapidés du fait d’une déconcentration liée au titre. L’effectif est très jeune et les Canaris ont du mal à assumer ce nouveau statut de favori. Les critiques fragilisent aussi l’équipe.

C’est à ce moment-là que Henri Michel prend une initiative décisive. Nous devons ces confidences à Jean-Paul Bertrand-Demanes et Patrice Rio car Riton était trop humble pour en parler lui-même. À la demande de leur capitaine, tous les joueurs se retrouvent sur la Côte pour déjeuner.  Un double engagement est pris : retrouver au plus vite les fondamentaux du jeu collectif mais rester unis derrière l’entraîneur. Les entraînements sont vécus comme agréables… mais insuffisants pour mettre l’intensité qu’il faut dans le jeu. Les joueurs s’imposent alors une charge de travail conforme aux standards proposés par José Arribas et Jean-Claude Suaudeau. Le jeu à la nantaise nécessite de cavaler, comme aime à le rappeler Raynald Denoueix.

Le coach n’aura pas connaissance de ce pacte, pas plus que les journalistes et dirigeants. Ce recentrage effectué en douceur n’a sans doute pas beaucoup d’équivalent dans le football d’aujourd’hui. Les joueurs ont exprimé la volonté de préserver leur style de jeu tout en conservant leur confiance à un coach qui avait parfois tendance à s’en écarter.

Ce jour-là, c’est la philosophie du club et du jeu (à la nantaise) qui a été la plus forte. L’éducation reçue préalablement est revenue à la surface. Les joueurs se responsabilisent et Nantes retrouve alors toutes ses vertus. Le club réalise une fin de saison stratosphérique pour échouer seulement à un seul point de l’AS Monaco.

Coupe de France : la malédiction est terrassée…

La promesse faite au président Fonteneau lors de la signature de son contrat était de gagner enfin une Coupe de France. Les trois finales perdues avaient laissé une plaie béante. Jean Vincent va y parvenir, dès 1979, par une victoire 4 buts à 1 contre l’AJ Auxerre. Dans ce match, l’enjeu prime sur le jeu…et le jeu à la Nantaise n’est pas au rendez-vous. Heureusement, la victoire fait oublier l’absence de contenu et les sifflets du public. Eric Pécout illumine ce match de toute sa classe avec trois buts.

Nul doute que, dans cette compétition, le coaching pratiqué par Jean Vincent a été efficace car chaque année le club perdait, d’une manière inexpliquée, une grande partie de ses moyens. La malédiction était terrassée et cette victoire a eu un grand retentissement auprès des passionnés du club.

Dans l’histoire, il y a toujours la petite histoire à l’intérieur de la plus grande. C’est notamment celle d’Oscar Muller qui ne rêve que d’une seule chose : gagner la coupe de France pour venger la défaite subie par son père Ramon. En 1979, Il va faire beaucoup mieux encore puisqu’il marque un but lors de cette victoire historique.

Un palmarès nantais d’une incroyable densité

Les années suivantes seront d’une grande régularité car l’équipe va toujours jouer le haut du tableau. Le club n’est pas le budget le plus conséquent mais il parvient à maintenir un niveau de jeu d’une grande qualité. À l’instar de tous les autres entraîneurs, Vincent rencontrera des moments délicats mais le bilan est flatteur.

De 1976 à 1982, le FC Nantes remporte deux titres de champion de France (1977 et 1980) et sa première Coupe de France (1979). Il dispute une demi-finale de la Coupe d’Europe des vainqueurs de Coupe, perdue contre Valence en 1980.

Dans ce palmarès, impossible de passer sous silence les cinq années d'invincibilité à domicile en championnat entre le 15 mai 1976 et le 7 avril 1981. C’est-à-dire la bagatelle de 92 matchs d'affilée à Marcel Saupin.

L’aventure s’achève en 1982, quatre mois avant la fin de la saison. Il rebondit aussitôt à la tête de l'équipe des Lions Indomptables du Cameroun pour disputer la Coupe du monde 1982. Cette équipe avec Roger Milla ne perd aucun de ses trois matchs de poule. Aujourd’hui encore, elle reste la meilleure équipe camerounaise de tous les temps.

Sa vie professionnelle va se poursuivre à Rennes mais aussi au Maroc où il décroche le titre avec le Wydad de Casablanca. Il va créer à l’issue de sa carrière, à Saint Brévin les Pins, les stages qui portent son nom avec la volonté de partager sa passion pour le football. Plus d’un millier de jeunes sont venus apprendre à son contact et cette formation a eu une notoriété internationale.

Le "Jeu à la nantaise" s'est imposé à Jean Vincent comme une obligation. Sans être du sérail, il ne pouvait échapper à sa force d'attraction. Il a fait preuve d'une grande capacité d'adaptation pour être à la hauteur de l'ambition sportive. Sans être l'héritier de José Arribas, reconnaissons lui aujourd'hui le mérite d'avoir été un formidable successeur.