À un an du Mondial 2002, le sélectionneur Roger Lemerre cherche des nouveaux talents. Pour le deuxième épisode de ”Jaune-et-Vert en Bleu”, retournons dans un âge d’or du football nantais et français. Nous vous racontons la dernière ballade de la famille nantaise dans une compétition internationale.
La saison 2000-01 a donc été bien riche pour le FCNA : quart-de-finalistes de la Coupe UEFA, demi-finalistes de la Coupe de France et de la Coupe de la Ligue et champions de France. Le meneur de jeu nantais Eric Carrière est nommé meilleur joueur de Division 1. Le jeu de la génération Denoueix est axé sur les valeurs du club : la jeunesse, le collectif, la vitesse, la créativité. Son groupe est arrivé à maturité, certains éléments se sont affirmés plus que d’autres, ont changé de dimension. Pour plusieurs Nantais, c’est donc le moment de passer un cap.
Et ça tombe à pic, parce que 2001, c’est aussi l’année d’une autre équipe au sommet de son football : l’Équipe de France. Champions du Monde, champions d’Europe, stars mondiales adulées, les Bleus écrasent tout ce qui se dresse sur leur chemin. Roger Lemerre possède un groupe incroyable avec les Zidane, Henry, Trezeguet, Barthez, Pires, Thuram…mais il voit aussi certains éléments qui vieillissent : Djorkaeff, Dugarry, Desailly. A l’issue d’une saison 2000-01 remplie de matchs amicaux archi-dominés (à l’époque, les champions du Monde ne jouaient aucune qualification pour le Mondial suivant), le sélectionneur se dit que l’enjeu modéré de la Coupe des Confédérations qui arrive est l’occasion de faire monter quelques talents. C’est l’occasion rêvée pour le champion de France de proposer des noms !
Quels Nantais choisir ?
Roger Lemerre souhaite un groupe équilibré jeunes/anciens pour partir en Corée et au Japon à un an de la Coupe du Monde. Il garde donc quelques-uns de ces vieux briscards : Lizarazu, Desailly, Lebœuf, Vieira, Djorkaeff, Pires, Karembeu, Anelka, Wiltord et Dugarry. Pas mal non ? Et il reste donc des places pour les rejoindre. Pour les gardiens, Lemerre fait confiance à Ulrich Ramé, habitué du groupe et Grégory Coupet. En défense, il ouvre les portes au sochalien Jérémy Brechet, au marseillais Zoumana Camara. Si ceux-là sont des « tests », les arrivées de Willy Sagnol et Mickael Silvestre en Bleu sont attendues. Au milieu, Lemerre appelle Olivier Dacourt, et en attaque il relance Steve Marlet, plutôt performant en Bleu, et tend la main à Laurent Robert et au bastiais Frédéric Née.
Vous savez compter ? Ça nous fait 20 joueurs. Il y a donc trois spots à prendre pour les Canaris. Les candidats ne manquent pas : Gillet, Da Rocha, Savinaud, Vahirua, Monterrubio, Ziani, Berson, Touré, Carrière et bien sûr Landreau.
Il manque un troisième gardien aux côtés des Ramé et Coupet, et c’est en toute logique que Mickaël Landreau est appelé. Le capitaine nantais sort de 3 saisons immenses, décisif dans chaque titre depuis 1998. Et surtout, Landreau est déjà en Bleu depuis 1994, évoluant chez les U16, les U18 et les Espoirs, en tant que relais et capitaine de Raymond Domenech. Sa promotion chez les A doit lui permettre de se placer comme l’un des gardiens français de la décennie à venir.
Il manque un défenseur, et c’est non sans surprise que Lemerre propose à Nicolas Gillet de venir. Gillet, un Nantais pur beurre, arrivé au club en 1989, est devenu un titulaire indiscutable depuis son arrivée en pro en 1997, mais son caractère a toujours été plutôt discret. Une arrivée inattendue mais bienvenue. Nico’ devra cependant prouver quelque chose rapidement.
Enfin, il manque un milieu. Et en l’absence de Zidane, mais aussi de son remplaçant de l’époque, Johan Micoud, Lemerre décide d’appeler celui qui vient tout juste d’être élu meilleur joueur de Division 1, le maître à jouer du FC Nantes : Eric Carrière. Un choix tout à fait logique, car Eric est tout simplement l’homme au centre des attentions dans le championnat de France.
Lemerre choisit donc un Nantais pour assumer le dernier rempart, la défense et l’organisation du jeu de ses stars à trois petits Canaris, Carrière ayant le luxe d’avoir le rôle de Zizou. Rien que ça. Ce groupe original constitué, tout le monde s’envole vers la Corée pour plus ou moins rouler sur la compétition. Trois petits Canaris, oui, mais trois ambitions différentes.
Landreau, pour commencer
L’arrivée de Micka’ en Bleu, enfin ! Alors, oui, Lemerre va donner la priorité à Ulrich Ramé, gardien expérimenté, champion avec les Bleus à l’Euro 2000 et d’ores-et-déjà possesseur de plusieurs sélections. Mais le sélectionneur va toutefois accorder une sacrée faveur à ses trois portiers : chacun pourra jouer un match de groupe. Ce sera Ramé pour le premier match, Coupet pour le second, et Micka’ pour le troisième. L’idole de la Cité des Ducs aura les Mexicains en face de lui. Au micro de la chaîne YouTube de la FFF, Landreau explique en 2016 à propos de ce match : « Mon sentiment, c’est beaucoup de fierté, d’accomplissement ». Thierry Roland lui, commente lorsque le petit numéro 23 attrape son premier ballon en main : « une juste récompense pour la formidable saison qu’il a réalisée ».
Sauf que Micka’, alors âgé de 22 ans à l’époque, tombe sur ce genre de match très fréquent en Bleus durant cette période, celui où l’équipe de France roule sur son adversaire. Résultat, sous la pluie d’Ulsan, Landreau aura tout le luxe de n’avoir pas grand-chose à faire, Vieira domine le milieu de terrain, Desailly tacle tout ce qui passe et dès la 8e minute, Wiltord mettra le premier but. S’en suivra une démonstration tricolore : 4-0. Landreau regardera le reste du tournoi depuis le banc.
Gillet, pour essayer
Nicolas Gillet est pragmatique sur sa présence en Bleus, il sait qu’il n’est probablement pas dans les plans du sélectionneur national. Dans une interview à So Foot en 2017, il déclarera lui-même : « Les joueurs qu'il [Roger Lemerre, ndlr] a pris, si ce n'était pas des habitués, ce n'était pas un choix délibéré de sa part. Certains joueurs étaient bloqués par les clubs à cause des championnats, qui n'étaient pas encore terminés. Et il y a eu des blessures en plus... »*. D’autant que si Lemerre souhaite faire tourner les gardiens, il est moins flexible sur sa charnière défensive, sachant que Desailly, capitaine depuis le départ de Deschamps, est intouchable.
Mais après la victoire contre la Corée en match d’ouverture en mode « tarif maison » (5-0), Lemerre va proposer une grosse rotation contre l’Australie. C’est l’occasion donc pour Gillet d’être titularisé, aux côtés de Jérémy Bréchet, Zoumana Camara et Franck Leboeuf.
Et ça commencera mal pour Nicolas Gillet qui est annoncé sous le nom de…Martin Djetou sur l’écran des compositions. Ensuite, on va vous avouer que Lemerre n’a vraiment pas voulu proposer son meilleur 11, avec Dacourt, Robert ou Frédéric Née… Et enfin, sans avoir pu vraiment se distinguer, Nicolas Gillet voit le coup-franc australien de Skoko à la 60e minute lui passer au-dessus de la tête, avant qu’il ne se retrouve impuissant à sauver Coupet battu par Zane qui reprend le ballon dévié sur le poteau. La France perd 0-1 dans un match très anecdotique. Nicolas suivra son capitaine sur le banc pour les jours suivants et on gardera en souvenir le regard fatigué de notre Nico’ chéri pendant le déplacement en Asie.
Carrière, pour briller
A Eric la lourde charge de mener le jeu des Français, à Carrière le rôle de meneur de jeu, à Eric Carrière la pression de porter le numéro de Zidane en Équipe de France en 2001. Il s’était régalé toute l’année à distribuer les caviars à Moldovan, Vahirua, Ziani, Da Rocha, Touré. Maintenant, imaginez-le avoir Wiltord, Djorkaeff, Anelka et Pires autour de lui. Le lutin nantais est lancé dans le bain dès le premier match contre la Corée du Sud. Et dès la 19e minute, il sert Patrick Vieira pour le 2-0 après l’énorme retourné de Marlet quelques minutes plus tôt. Carrière est totalement impliqué dans le jeu et la France balaie les Coréens 5-0.
Absent contre l’Australie, il revient contre le Mexique. Et si Landreau n’aura pas grand-chose à faire, Eric, lui, va briller pendant toute la rencontre, faisant la fierté du FC Nantes. Après l’ouverture du score de Wiltord, Pires sert Carrière qui pique sa balle pour le 2-0. Pires met le 3e but avant qu’Eric ne récupère la balle dans les six-mètres mexicains après une partie de billard pour mettre le 4-0.
Pour la suite de la compétition, Lemerre choisit de privilégier l’expérience. Contre le Brésil en demi-finale, c’est Youri Djorkaeff et Sylvain Wiltord qui animent l’attaque, idem pour la finale contre le Japon. Carrière entre en jeu à deux reprises pour remplacer ce bon vieux Youri. Mais même en sortie de banc, il anime le jeu avec la qualité et la précision qui ont fait de lui le meilleur nantais, et le meilleur joueur du championnat de France, tapant dans l’œil de Roger Lemerre, de la FIFA et pour notre plus grand malheur, de Jean-Michel Aulas, président de l’Olympique Lyonnais, qui va tout remuer pour le faire venir chez les Gones.
Trois joueurs, trois bilans différents
Pour Nicolas Gillet, l’aventure n’ira pas plus loin. Le maillot iconique blanc, frappé du coq qui fut celui de l’Euro 2000, sera le seul qu’il portera dans sa carrière en Équipe de France. Pragmatique, il s’attendait à ce bilan. Toujours lors de l’interview de So Foot, Gillet résumera : « C'est toujours mieux que jouer des amicaux. Et gagner un titre avec l'Équipe de France, c'est énorme. Encore aujourd'hui, je ne me rends pas bien compte. Évidemment, cela va faire marrer ceux qui ont pu avoir une Coupe du Monde, ou qui jouent la Ligue des Champions régulièrement, mais c'est quelque chose de super important dans ma carrière, c'est un souvenir génial. »*
En revanche, Eric Carrière aura clairement été à la hauteur des attentes. Très en vue dès le premier match, parfaitement impliqué dans l’attaque tricolore, il s’offre sa première passe décisive et ses deux premiers buts en Équipe de France. Son doublé contre le Mexique ? Le premier but nantais en Bleu en compétition officielle depuis Maxime Bossis en 1982, mais surtout le premier nantais à inscrire un doublé dans l’histoire. Rien que ça. Il termine meilleur buteur de la compétition, à égalité avec d’autres joueurs, certes. Mais surtout, Carrière est nommé Soulier d’Or de la FIFA, devenant le seul et unique nantais à recueillir un trophée en compétition internationale. Rien. Que. Ça.
La gloire est totale lorsque la rentrée des Bleus en août 2001 a lieu contre le Danemark…à Nantes. Carrière reçoit alors son trophée de la FIFA devant son public. Mais voilà, l’idylle ne durera que quelques mois. Il faudra attendre plusieurs semaines avant que Carrière ne revienne en Bleu, mais en tant que lyonnais et non plus nantais. Il jouera 6 matchs de plus en Équipe de France, marquant une nouvelle fois contre Malte, puis inscrivant un nouveau doublé contre la Yougoslavie. Mais passé novembre 2001, Eric ne remettra jamais le maillot tricolore, bloqué par la toute-puissance de Zidane, et par l’émergence d’autres talents comme Ludovic Giuly, Benoit Pedretti et surtout son âge et sa marge de progression limitée.
Au final, le véritable vainqueur parmi les Canaris sera Mickaël Landreau. Patient et conscient que son heure va venir, le portier nantais retournera chez les Espoirs de Raymond Domenech l’année suivante pour participer à l’Euro 2002 chez les Bleuets, n’échouant qu’en finale aux tirs aux buts. Le nouveau sélectionneur Jacques Santini imite Roger Lemerre pour la Coupe des Confédérations 2003 et offre à Landreau un match de poule, qui termine comme sa première sélection : 4-0 contre la Nouvelle-Zélande cette fois. Santini le confirme à l’Euro 2004 et Micka’ se retrouve avec Barthez et Coupet au Portugal. Le capitaine nantais est d’autant plus confiant sur son avenir en Bleu, puisque c’est Raymond Domenech qui succède à Santini.
Le portier canari était le capitaine de notre Raymond bien aimé en Espoir, il est donc conservé et fait partie de l’aventure 2006. Landreau est alors double vainqueur de la Coupe des Confédérations, et médaillé d’argent à la Coupe du Monde 2006, où il est même pressenti pour faire la séance de tirs aux buts lors de la finale. Après 8 sélections, il n’a toujours pas encaissé le moindre but. Micka’ revient en grâce en 2007 à la Beaujoire, en tant que gardien des Bleus contre la Lituanie, assistant aux 40e et 41e buts de Thierry Henry, jouant avec les Thuram, Benzema, Makélélé, Ribéry, Malouda...
Cependant, les choix de Domenech crispent la relation entre les deux hommes. Landreau est cruellement rebuté pour l’Euro 2008, évacué sans pitié par hélicoptère, la tête basse, lors du stage à Tignes avant la compétition. Domenech préférera Sébastien Frey à son ancien chouchou, un choix qui sera lourd de conséquences. Micka’ disparaît des plans du sélectionneur et assiste impuissant à l’arrivée de Mandanda et Lloris. En 2014, Deschamps souhaite cependant offrir à Landreau une place dans son groupe avec les Griezmann, Varane, Pogba, Giroud et Benzema, qui s’ajoutent à la prestigieuse liste des coéquipiers de Landreau en Bleu, et dont le dernier maillot de sa carrière aux 618 matchs de Ligue 1 sera celui d’un certain France-Allemagne, au stade du Maracana, rien que ça.
Et les autres ?
Pendant que ces trois Nantais participaient à la ballade en Asie, d’autres talents attendaient leurs tours. Mais Olivier Monterrubio, pourtant espoir, n’ira jamais en Bleus, tout comme Da Rocha, bloqué chez les « A prim ». Marama Vahirua jouera quelques amicaux avec les Bleuets de Domenech, tout comme Berson et Armand qui seront de l’aventure avec Landreau à l’Euro 2002.
Le dernier âge d’or ?
La Coupe des Confédérations 2001 restera ce genre de « compétition OVNI », jouée avec le maillot de l’Euro 2000, le ballon de France 98, des légendes championnes du monde et des petits débutants. Mais elle est surtout la dernière compétition durant laquelle trois joueurs du FC Nantes auront été impliqués. Seules les Coupes du Monde 1966 et 78 (4 joueurs) entrent dans cette comparaison.
Alors oui, elle ne fut pas passionnante à suivre, tant la domination des Bleus fut forte. Mais c’est une compétition FIFA avec des Canaris dans les cages, à la mène, à la passe, au but, au doublé, récompensé individuellement et collectivement, ce qui en fait, d’un point de vue nantais, un moment unique dans l’Histoire. Oui, cette ballade nantaise, c’était quand même un certain âge d’or.
*Propos recueillis par Côme Tessier pour So Foot.