Une saison prometteuse, malgré les départs
Nous sommes à l’été 1995, et le FC Nantes est officiellement l’une des meilleures équipes de l’histoire du football français, et l’une des meilleures au monde. Tout simplement parce que les canaris ont dominé outrageusement, comme nulle autre équipe, le championnat de France : meilleure attaque, meilleure défense, meilleur buteur, troisième meilleur buteur, meilleur bilan victoires, meilleur entraîneur, meilleure invincibilité, avec un record de 32 matchs sans défaite, meilleure invincibilité bis, avec le plus petit chiffre de défaite sur une saison, une seule. Ces deux records tiennent toujours (pour information du groupe QSI) … et bien entendu cette année-là, Nantes est champion de France, dispose du meilleur jeu, et comme si cela ne vous ne suffisait pas, vous pouviez acheter la toute première Play Station de l’histoire, prendre FIFA 96 et simuler des saisons entières avec le FCN en tête de toutes les compétitions. Le rêve non ?
Mais l’été qui suit est mouvementé, car évidemment, un tel club et de tels talents attirent les convoitises. Il faut dire que ce groupe de champions est particulièrement séduisant : les gardiens Marraud, Casagrande, les défenseurs Serge Le Dizet, Eric Decroix, Eddy Capron, Laurent Guyot, Christophe Pignol, les milieux Jean-Michel Ferri, Benoit Cauet, mais surtout, les perles que sont Claude Makelele, Raynald Pedros, Nicolas Ouedec, Japhet N’Doram, sans oublier bien sûr Christian Karembeu et Patrice Loko.
Ce sont justement ces deux derniers qui vont céder aux chants des sirènes. Christian Karembeu part pour la Sampdoria de Gênes, choix qu’il regrettera assez rapidement pour rejoindre le Real Madrid. Et Patrice Loko, lui, affole la chronique, et met en lumière des traits de caractères qui apportent beaucoup de conflits et de tensions au club et envers les supporters. Au terme d’un bras de fer qui marquera les esprits, Loko rejoint finalement le Paris-Saint-Germain, qui s’apprête à faire une épopée historique en coupe d’Europe, et, vous vous en doutez, ils ne seront pas seuls.
Faire mieux que 1995 : mission impossible … ?
Nantes n’est pas en reste, car en dépit de ces deux départs qui impactent certes la qualité du groupe, le club compte sur ses jeunes pousses et sa qualité de recrutement. Ainsi, les jeunes Da Rocha, Savinaud, Chanelet, Deroff, Piocelle, rejoignent les recrues Bruno Carotti, et Jocelyn Gourvennec. Le groupe reste fort, mais réitérer l'exploit de 1995 relève du miracle, et l’entraineur Jean-Claude Suaudeau le sait.
Pour autant, Nantes démarre plutôt bien. Après sept journées, les canaris sont septièmes, avec trois victoires, deux nuls et une défaite. Le FCN avait d’ailleurs repris son fauteuil de leader pendant le mois d’août, mais va s’en suivre une série de six matchs sans victoire, et les absences de Loko devant et Karembeu derrière se font déjà durement ressentir. Nantes sait relever la tête et reste une belle équipe, quand Loko, qui enrage les supporters nantais désormais, fait les beaux jours du PSG qui caracole en tête du championnat. L’obsession des séries reste présente, car Nantes enchaine ensuite treize matchs sans défaites, un an après la série de trente-deux, et un an avant la série de trente ! Les jeunes comme Da Rocha, Savinaud, se mettent en valeur, Ouedec, Pedros et N’Doram sont toujours au top … quand ils ne sont pas blessés. Mais l’équipe fait des erreurs de parcours qui ramènent le FCN dans le ventre mou du championnat, à l’image de cette rouste contre le PSG : 0-5, lors de la vingt-et-unième journée. Nantes fait le nécessaire et termine les huit dernières journées sur trois victoires, trois nuls et deux défaites, pour ne terminer que septième. Honorable, mais sans saveur. Faire mieux que 95 ? Il ne fallait pas y penser … du moins pas en D1.
Confirmer ailleurs
Le trophée des champions est perdu contre le PSG en août aux tirs-aux-buts, les coupes de la ligue et de France sont expédiées en deux tours. Bref. Là où Nantes peut cependant essayer de progresser, c’est au niveau européen. Comme le déplorait Jose Arribas lui-même, les jaunes et verts, malgré leur palmarès national, n'ont jamais confirmé au-delà des frontières françaises. Depuis 1980 (demi-finale de coupe des coupes contre le FC Valence) et 1986 (quart de finale contre l’Inter de Milan), Nantes n’a rien montré d’extraordinaire en coupe d’Europe. Même les Dieux de 1995 ont cédé face au Bayer Leverkusen en coupe de l’UEFA, et de façon sévère (1-5). Mais le groupe nantais, affaibli, peut-il mieux réussir ? En 1996, la Champion’s league ne comprend que quatre groupes et commence dès les quarts de finales (le PSG d’aujourd’hui en PLS ?).
Le tirage au sort de la Champion’s league est relevé, mais abordable pour les canaris : FC Porto, Panatinaikos Athène, Allborg BK. Le premier match démontre d’ailleurs que la poule sera serrée, puisque, contre les portugais de Porto, les deux équipes se neutralisent sur une bataille très engagée (0-0). S’en suit le déplacement en Grèce, dans la fournaise du stade Olympique d’Athènes, contre le Pana’, qui profite des erreurs de la défense nantaise, trop naïve. Jean-Michel Larqué résume : « Ils ne sont pas dans le match, ils ne sont pas prêts pour le défis physique ». Après trois ficelles grecques, N’Doram sauve l’honneur : 1-3. Contre Aalborg, Ouedec n’attend pas et ouvre la marque après cinq minutes. Aalborg égalise sur un but litigieux, du fait d’un hors-jeu qui ne concernait pas le buteur Andersen (à l’époque, tout joueur hors-jeu, valait pour un hors-jeu). Sur un sublime mouvement, Pedros remet les pendules à l’heure, et Koscecki confirme : 3-1. La phase retour redonne des couleurs aux nantais : 2-0 contre Aalborg avec deux buts quelque peu chanceux. Nantes est leader de sa poule. Le plus beau match aura lieu à Porto, où les canaris tiennent tête aux bleus et blancs : 2-2. Deux buts magnifiques de Pedros après trois et trente-trois minutes de jeu. Nantes conclut dans une Beaujoire enneigée par un nul (0-0) contre le Pana’, une des très rares fois où nous verrons notre terrain vêtu de blanc.
Et soudain, Nantes est aux portes de la finale !
Le tirage au sort aurait pu désigner le Real, la Juve, l’Ajax, Dortmund … mais c’est le rugueux CSKA Moscou qui vient frapper à la porte de la Beaujoire. Les moscovites ne sont pas à prendre à la légère, et Casagrande est fortement sollicité en début de partie. Puis, à la 28e minute, Pedros vient chercher Guyot loin au second poteau, dont la tête vient trouver Japhet N’Doram au premier poteau ! 1-0. Nantes est confiant et joue sans retenue. C’est encore Pedros qui initie le mouvement, et trouve Ouedec qui frappe la barre du portier moscovite, avant que Ouedec ne tente une retournée sortie de peu ! La Beaujoire est en folie, car on sent que le but approche. Et sur un corner de la 68e minute, Ouedec plante une tête rageuse ! 2-0. Roland et Larquer sont déchaînés au micro, Yannick Bigaud, speaker du stade, s’écrie : « Il l’a pas volé ! ». Les canaris vont-ils aller en demi-finale d’une Champion’s league ? À Moscou, l’arrière Nikiforov se veut être le héros d’un soir et crucifie les nantais à deux reprises et met les compteurs à zéro : 0-2 à la mi-temps. Les rêves brisés ? C’est sans compter sur l’enragé Nicolas Ouedec, qui vient surpasser Nikiforov, épuisé, et qui marque à la 63e , puis conclut l’affaire à la 86e : 2-2.
Et soudain, Nantes est en demi-finale de la Champion’s league. Oui ! A ce stade, il n’y aura que du géant. Et le géant se présente avec ses troupes : Peruzzi, Antonio Conte, Gianliuca Vialli, Alessandro Del Piero, Fabrizio Ravanelli, Angelo Di Livio, Vladimir Jugovic, Juan Pablo Sorin, Michele Padovano, et puis … Didier Deschamps. Pour aller en finale de la Champion’s league, il va falloir batte la Juventus Turin. Mais dans l’immense et froid Stadio Delle Alpi, les nantais semblent sans armes contre une telle armada. Et malgré une première mi-temps globalement maîtrisée, Nantes cède à la 49e sur corner et un but de Vialli, pourtant quasi-menotté par Jean-Michel Ferri. La Juve est forte, et la frappe de Jugovic l’est tout autant et rentre dans la lucarne de Casagrande à la 66e minute. 0-2, un déficit que Moscou avait su remonter contre Nantes … alors, pourquoi ne pas y croire ?
Une demi-finale de Champion’s league à la Beaujoire
Nantes peut-il créer l’exploit ? Ils sont 39 150 supporters à la Beaujoire, qui rayonne de beauté et de couleur en ce 17 avril 1996. Le ballon aux étoiles noires frémit dans le rond centrale, et l’hymne de la Champion’s league fait grésiller la sono de notre arène. Il faudra deux buts pour rééquilibrer les choses, et ça ne va pas être facile. Les acteurs entrent sur la pelouse. Nantes affiche un onze un peu altéré : Casagrande, Pignol, Decroix, Chanelet, Capron, N’Doram, Makélélé, Ferri, Cauet, Ouedec, Kosecki. Carotti est suspendu, tout comme Le Dizet. En face, Peruzzi, le portier de la squaddra, Pessotto, que l’on retrouvera dans un certain France-Italie un soir de juillet 2000, Di Livio, Conte, Ravanelli, Del Piero et la Desch’, Didier Deschamps, dont la présence sur le terrain honore la formation nantaise. Devant eux, un certain Aimé Jacquet, le Maire Jean-Marc Ayrault qui a fait venir Lionel Jospin, pas encore Premier Ministre.
Le public répond présent, nantais comme italien. Les canaris montrent beaucoup d’entrain, mais la Juve se montre très menaçante, et physique ! En une action après quatre minutes de jeu, trois nantais sont au sol, et l’arbitre fait la leçon à … Pignol. L’objectif italien, c’est frapper fort et tôt. Sur un loitain coup-franc, Del Piero trouve Ferrara, qui manque sa volée, mais ni Chanelet, ni Capron ne font attention, et c’est Viali qui en profite pour fustiger Casagrande dans les six-mètres : 0-1. Il faut désormais trois buts au FC Nantes, au minimum. Viali manque ensuite de très peu de doubler la mise, mais rate son duel face au portier nantais, tout comme Ravanelli, bien rattrapé par Casagrande, lequel prend un jaune pour une main sur une sortie … qui suspend le gardien nantais d’une finale. Les canaris ne démordent pas face à des turinois qui jouent déjà la montre, mais manquent de précision dans les passes. Et c’est finalement cette maladresse qui sert les nantais. Sur un corner, Capron monte dans les hauteurs et place une tête au sol parfaite que Peruzzi bloque derrière la ligne et repousse, but ? Oui ? Non ? Decroix reprend la balle et frappe dans le filet de toute manière, le but est accordé à … on ne sait pas trop. Mais 1-1 et la Beaujoire chante : « On va les croquer ! ». Pour Suaudeau, le jeu peut basculer.
La seconde mi-temps va-t-elle voir l’exploit se réaliser ? Pour Viali, c’est hors de question, alors qu’il chippe une transmission nantaise et lance Paulo Sousa vers le but : 51e minute, Nantes est à 1-4 en cumulé. La Juve donne le sentiment de marquer à chaque occasion malgré le monopole nantais sur le ballon. Mais ça finit par payer enfin, alors que Renou récupère à son tour une mauvaise transmission turinoise, et lance immédiatement N’Doram qui place un magique extérieur du gauche qui vient heurter le coin du montant droit de Peruzzi, et rentre : 2-2 ! N’Doram manque ensuite de peu de mettre le feu alors que Makelele le sert parfaitement devant le but ! Le stade s’enflamme, et Nantes domine. Gourvennec tente une belle frappe de loin … la maîtrise nantaise est telle que le public chante : « Olé, Olé » sur les séries de passes. Pour autant, le temps passe : il faut marquer, et c’est Franck Renou qui trouve enfin l’ouverture ! Sur une passe de Cauet, Renou retrouve la position de N’Doram et lui aussi place bien sa balle sous Peruzzi : 3-2 ! Il reste dix minutes et Nantes est à deux petits buts d’une finale de Champion’s league. Renou est en feu et trouve tout le monde : Makelele, Pignol, N’Doram, il ne manque pas grand-chose ! Suaudeau sort Pignol pour Laurent Peyrelade. Mais plus rien ne bouge hélas, et la défense turinoise ne bouge plus. Le public chante : « Merci les jaunes ». L’aventure s’arrête à deux petits buts. Les nantais sont fatigués, mais ils se sont battus, et terminent leur campagne en battant la Juventus Turin.
Pourquoi un match tant mis de côté ?
Lorsque le documentaire en VHS sur les quarante ans en ligue 1 du FCN sort dans les rayons en 2003, la demi-finale de Champion’s league n’est que trop rapidement mentionnée, quand la demi-finale de 1980 de coupe des coupes et le quart de finale contre l’Inter Milan sont longuement commentés. Pourquoi ? Nantes était pourtant aux portes de la finale de la plus grande compétition européenne ayant jamais existé, et mieux, l’une des meilleures du monde. Si les canaris passaient la Juve, ils côtoyaient l’histoire du Barca, du Real, de l’Ajax, de Manchester et tant d’autres. Et en plus, les canaris s’offrent même le privilège de battre la vieille Dame à la Beaujoire … alors, pourquoi cette rencontre se fait si discrète dans les mémoires des supporters ?
Il est possible que le scénario du match aller ait convaincu la plupart des fans que l’affaire était entendue, que le challenge était trop fort. On peut aussi se demander si la saison fade du club n’avait finalement pas détourné les intérêts des supporters nantais d'alors, tant la confirmation de 1995 n’eut pas lieu. Suaudeau lui-même avait fini par expliquer que Nantes ne pouvait plus progresser, car le club formait de bons joueurs, qui progressaient, et montaient au niveau européen, mais sans Nantes. Une question, légitime, se pose : et si Loko et Karembeu étaient restés ? Alors que le PSG gagnait la coupe des coupes, disparue depuis, avec Loko, Djorkaeff, Lama et compagnie, Nantes faisait aussi briller le football français en Europe. La Champion’s league de 2002 prouvera que les canaris avaient toujours des capacités qui pourraient les emmener plus loin qu’en France, mais que les limites sont encore bien palpables. Et pourtant, que ce serait-il passé, en 1996 et après, si Nantes avait passé cet obstacle turinois, avant de regarder l’Ajax dans les yeux ?