Bernard Verret est l’auteur d’un grand nombre d’ouvrages sur le FC Nantes, son histoire et celle des hommes qui l’ont fait. Après José Arribas pour qui il consacra une biographie en 2021, c’est Jean-Claude Suaudeau qui naturellement lui succède, dans un livre très attendu.
Bonjour Bernard. Qu’est-ce qui t’a donné envie d’écrire un ouvrage sur Jean-Claude Suaudeau ?
Plusieurs raisons. Le fait d’abord que Jean-Claude Suaudeau soit un personnage, en tant que technicien, en tant qu’homme aussi. Il s’inclut sans doute parmi les trois meilleurs entraîneurs de l’histoire du foot français avec Albert Batteux et José Arribas. J’ai déjà écrit un livre sur Arribas, pas encore sur Batteux. Celui sur Suaudeau est donc une suite presque logique. Ces trois entraîneurs-là peuvent, sur le plan des idées, de la philosophie de jeu, de l’ingéniosité, rivaliser avec les plus grands techniciens de l’histoire, les Guardiola, Cruyff, Shankly, Lobanovski, Sacchi, Michels… enfin tous ceux qui ont apporté quelque chose au football : un style, une marque. Coco Suaudeau est resté près de quatre décennies à Nantes, il a laissé son empreinte comme joueur puis surtout comme entraîneur. Il y a donc le technicien, il y a aussi l’homme, sa trajectoire, sa personnalité. Suaudeau est un garçon de la campagne. Il a travaillé dans une usine à Cholet, il s’est fait presque tout seul même si des rencontres ont été déterminantes dans sa vie, à commencer bien sûr par celle avec Arribas. On nous le décrit souvent comme quelqu’un de difficile, d’austère, en réalité, il adore s’amuser et c’est, je crois, qu’il a essayé de faire toute sa vie. Et son football reflétait cette envie de jouer.
« Suaudeau réfléchissait beaucoup à la façon de jouer«
Quelles étaient les relations entre Arribas et Suaudeau ? Est-ce qu’on peut dire que Suaudeau était déjà un entraîneur dans l’âme quand il était joueur ?
Suaudeau était déjà entraîneur quand il était enfant. Dans les parties de foot qu’il jouait avec ses frères et ses copains ou dans la cour de son école à Cholet, il mettait en place des systèmes de jeu que les autres suivaient parce qu’ils en percevaient le bien-fondé. Ensuite, il faisait des plans, inventait des pièges, lesquels étaient les adversaires. Entraîner, c’était quasi inné chez lui. Ensuite Arribas lui a enseigné les attraits du jeu collectif, du mouvement et il s’est montré particulièrement réceptif, n’hésitant pas à moins dribbler – car il aimait ça dribbler, puisque Raymond Kopa était son idole – pour faire davantage de passes grâce auxquelles on peut éliminer tout aussi bien et encore plus rapidement des adversaires. Suaudeau réfléchissait beaucoup à la façon de jouer, Arribas s’en était aperçu bien sûr, il l’envoyait entraîner dans les petits clubs (Clisson par exemple) et des quartiers de Nantes (Les Dervallières). Il lui fit diriger des séances et c’est lui qui l’incita à mettre un terme à sa carrière de joueur dès 1969 afin de devenir entraîneur. En l’occurrence entraîneur-joueur de l’équipe réserve du FC Nantes, ce qui lui a permis de jouer encore très longtemps, quasiment jusqu’à quarante ans.
Quand il quitte le club en 1976, Arribas désigne Suaudeau comme successeur, mais le club préfère un recrutement externe (en l’occurrence Jean Vincent). Les dirigeants du club ne craignaient-ils pas, avant tout, de perdre un bon formateur ?
Je ne le pense pas, même si c’ est l’ argument qui a été avancé par certains. En réalité, Coco Suaudeau avait un adversaire au sein du comité directeur et son influence grandissait. C’était Claude Simonet, lequel appréciait également très peu José Arribas dont il avait été l’un des responsables du départ en lui refusant le contrat de deux ans qu’il souhaitait. Simonet est allé jusqu’au bout de son raisonnement, il ne voulait plus d’Arribas, il a fait en sorte que l’entraineur basque n’ait pas le successeur qu’il désirait. Et il s’est chargé de faire la promotion de Jean Vincent, sous prétexte qu’ ils avaient été copains de régiment. Louis Fonteneau, lui, était plutôt favorable à Suaudeau mais il n’était pas un homme de conflits. Simonet a donc fait perdre six ans à Suaudeau, j’ai l’ impression que Coco ne le lui a jamais pardonné. C’est lui qui avait formé l’équipe qui a permis à Jean Vincent d’être champion de France en 1977. Cela rappelé, Jean Vincent n’était pour rien dans cette histoire et il a obtenu d’excellents résultats, auxquels contribua d’ailleurs Suaudeau. Il fut rappelé plusieurs fois pour lui venir en aide et mettre de l’huile dans les rouages de l’équipe. Vincent était un gagneur, un homme de contacts. Il aimait le beau jeu mais ce n’ était pas un ingénieur, un inventeur comme le furent Arribas et Suaudeau. Ils ne tiraient pas en quelque sorte dans la même catégorie.
Quelles étaient les relations entre Suaudeau et Vincent ?
Pas mauvaises, car Vincent était un homme adorable, volontiers rieur, auquel on ne connaissait pas d’ennemi, à part Kopa. Mais pas chaleureuses non plus. Dès le début, Suaudeau avait dit à Vincent qu’il allait se consacrer à la formation et à l’équipe de troisième division, et cela convenait très bien au nouveau coach. Ce sont les dirigeants et Robert Budzynski qui ont ensuite demandé à Suaudeau de se rapprocher de Vincent quand l’équipe tournait moins rond. Notamment après une défaite en Coupe d’Europe contre Benfica, à Saupin, devant seulement 12.000 spectateurs qui demandaient véhémentement la démission de Vincent. Coco s’est dévoué de plus ou moins bon cœur, pour le bien du club. Ensuite, il s’est effacé. L’opération s’est reproduite et Vincent en a de nouveau tiré profit. Si bien que la troisième fois, après une élimination en Coupe de France face à Nœux-les-Mines, Suaudeau a accepté mais à la condition que l’équipe lui soit confiée la saison suivante, car Vincent arrivait en fin de contrat et il était clair qu’il ne serait pas renouvelé. On était en 1982 et finalement Vincent n’est pas allé au bout de son contrat, il a demandé à partir pour aller entraîner la sélection du Cameroun. Cela arrangeait tout le monde.
« Les individualités l’intéressaient en fonction de ce qu’elles apportaient au collectif«
Jean-Claude Suaudeau a conduit deux fois le FC Nantes au titre, à chaque fois avec une équipe dont il avait formé les principaux joueurs. A contrario, il a connu ses saisons les plus difficiles lorsque l’équipe était en majorité composée de pièces rapportées. Cela signifie-t-il que la “méthode Suaudeau” nécessite un long processus d’apprentissage pour les joueurs ?
Suaudeau dit lui-même qu’il était un formateur, ce qui signifie qu’il adorait prendre des jeunes et les faire progresser ensemble. Le jeu à la Nantaise était tout de même spécial, il nécessitait de la patience, des automatismes et il pouvait être long à mettre en place. Je crois que Suaudeau était énervé, déçu aussi, quand arrivait un joueur coté individuellement et qu’il s’apercevait qu’en réalité il ne savait pas jouer. Il essayait de lui apprendre justement à jouer mais quand l’autre ne l’écoutait pas, parce qu’il se croyait plus fort qu’il n’était, il y avait forcément incompréhension. Des deux côtés d’ailleurs. Pour Suaudeau, le foot est un sport collectif, les individualités l’intéressaient en fonction de ce qu’elles apportaient d’abord au collectif. Des joueurs qui ne savent pas jouer ou qui ne le veulent pas parce qu’ils pensent d’abord à eux, on en voit hélas de plus en plus à cause de leur entourage. La société, en fait, tend vers ça. Et parallèlement, on voit de moins en moins d’équipes qui favorisent l’expression collective, à part quelques-unes qui forment leurs joueurs, possèdent les moyens et la volonté de les conserver et disposent aussi d’un entraîneur respectueux du jeu. C’est simple mais ça fait beaucoup.
Penses-tu que Jean-Claude Suaudeau aurait pu entraîner un autre club et rencontrer autant de succès qu’avec le FC Nantes ?
Je n’en sais strictement rien mais il me paraît difficile de penser le contraire. A condition évidemment de tomber sur des dirigeants qui soient patients et le laissent œuvrer librement. Il n’aimait pas qu’on se mêle de ses affaires. Un peu comme Guy Roux, qui a réussi à Auxerre avec des recettes assez semblables, mais un style de jeu totalement opposé. Le plus important dans un club, c’est son responsable technique, encore plus s’il est compétent et qu’il a des idées, voire des idéaux. Il arrive souvent que les présidents aient du mal à l’admettre.
« Suaudeau et Denoueix étaient frères de jeu«
Son nom, parfois, a été suggéré pour l’équipe de France, ou pour une autre sélection nationale. Penses-tu là aussi qu’il aurait pu réussir ?
Je ne suis pas certain qu’il le voulait vraiment. Il appréciait peu le cirque médiatique auquel un sélectionneur est soumis. Et puis, il aimait tellement sa vie de famille à Nantes ! C’était sa ville, il s’y sentait bien. C’est un homme de fidélité, un fils de la campagne devenu presque un homme de bord de mer depuis qu’il a acquis une maison dans le golfe du Morbihan. En outre, quand son nom fut cité pour l’équipe de France, à la Fédération il y avait un certain Simonet, le président du Romanée-Conti. Alors, on n’en parla pas longtemps…
De nombreux joueurs qu’a dirigés Suaudeau sont devenus entraîneurs. On pense à Kombouaré, Der Zakarian, Halilhodžić, Le Dizet, Amisse… qui ont dirigé l’équipe de Nantes plus tard, sans oublier Raynald Denoueix. Le plus grand de ses mérites n’est-il pas de donner le goût de l’entraînement à ses joueurs ?
Il amenait en effet ses joueurs à se poser sans cesse des questions sur le jeu. Cela dit, dans cette liste, j’en discerne peu qui aient fait pratiquer un football ressemblant au sien, même de loin. Peut-être est-ce une déception pour lui ? Raynald Denoueix reste évidemment un cas à part, mais autant on peut considérer Suaudeau comme l’héritier d’Arribas, autant la filiation entre Suaudeau et Denoueix est moins évidente. En réalité ils étaient frères. Frères de jeu. Dix ans seulement les séparent et ils ont longtemps joué ensemble, notamment en troisième division, ils partageaient les mêmes valeurs, les mêmes convictions, la même philosophie. Suaudeau l’aîné a donné un gros coup de pouce à Denoueix en allant le chercher à Gétigné en 1982, un peu comme s’ il pressentait déjà que cet homme-là possédait l’étoffe de lui succéder quand le moment serait venu. L’étoffe, la patience et, lui aussi, la fidélité.

- « Suaudeau, le génie nantais » de Bernard Verret (2025). Pour toute commande, adresser un e-mail à livres.verret@orange.fr
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